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ÊÀÒÅÃÎÐÈÈ:






Le tour du monde en 80 jours 16 ñòðàíèöà




Les deux immenses voiles étaient hissées, et, sous l’impulsion du vent, le véhicule filait sur la neige durcie avec une rapidité de quarante milles à l’heure.

La distance qui sépare le fort Kearney d’Omaha est, en droite ligne — à vol d’abeille, comme

disent les Américains —, de deux cents milles au plus. Si le vent tenait, en cinq heures cette distance pouvait être franchie. Si aucun incident ne se produisait, à une heure après midi le traîneau devait avoir atteint Omaha.

Quelle traversée! Les voyageurs, pressés les uns contre les autres, ne pouvaient se parler. Le froid, accru par la vitesse, leur eût coupé la parole. Le traîneau glissait aussi légèrement à la surface de la plaine qu’une embarcation à la surface des eaux —, avec la houle en moins.

Quand la brise arrivait en rasant la terre, il semblait que le traîneau fût enlevé du sol par ses voiles, vastes ailes d’une immense envergure. Mudge, au gouvernail se maintenait dans la

ligne droite, et, d’un coup de godille il rectifiait les embardées que l’appareil tendait à faire.

Toute la toile portait. Le foc avait été perqué et n’était plus abrité par la brigantine. Un mât de hune fut guindé, et une flèche, tendue au vent, ajouta sa puissance d’impulsion à celle des

autres voiles. On ne pouvait l’estimer, mathématiquement, mais certainement la vitesse du

traîneau ne devait pas être moindre de quarante milles à l’heure.

«Si rien ne casse, dit Mudge, nous arriverons!»

Et Mudge avait intérêt à arriver dans le délai convenu, car Mr. Fogg, fidèle à son système,

l’avait alléché par une forte prime.

La prairie, que le traîneau coupait en ligne droite, était plate comme une mer. On eût dit un immense étang glacé. Le rail-road qui desservait cette partie du territoire remontait, du sud-ouest au nord-ouest, par Grand-Island, Columbus, ville importante du Nebraska, Schuyler,

Fremont, puis Omaha. Il suivait pendant tout son parcours la rive droite de Platte-river. Le

traîneau, abrégeant cette route, prenait la corde de l’arc décrit par le chemin de fer. Mudge ne pouvait craindre d’être arrêté par la Platte-river, à ce petit coude qu’elle fait en avant de Fremont, puisque ses eaux étaient glacées. Le chemin était donc entièrement débarrassé

d’obstacles, et Phileas Fogg n’avait donc que deux circonstances à redouter: une avarie à

l’appareil, un changement ou une tombée du vent.

Mais la brise ne mollissait pas. Au contraire. Elle soufflait à courber le mât, que les haubans de fer maintenaient solidement. Ces filins métalliques, semblables aux cordes d’un

instrument, résonnaient comme si un archet eût provoqué leurs vibrations. Le traîneau

s’enlevait au milieu d’une harmonie plaintive, d’une intensité toute particulière.

«Ces cordes donnent la quinte et l’octave», dit Mr. Fogg.

Et ce furent les seules paroles qu’il prononça pendant cette traversée. Mrs. Aouda,

soigneusement empaquetée dans les fourrures et les couvertures de voyage, était, autant que

possible, préservée des atteintes du froid.

Quant à Passepartout, la face rouge comme le disque solaire quand il se couche dans les

brumes, il humait cet air piquant. Avec le fond d’imperturbable confiance qu’il possédait, il s’était repris à espérer. Au lieu d’arriver le matin à New York, on y arriverait le soir, mais il y avait encore quelques chances pour que ce fût avant le départ du paquebot de Liverpool.

Passepartout avait même éprouvé une forte envie de serrer la main de son allié Fix. Il

n’oubliait pas que c’était l’inspecteur lui-même qui avait procuré le traîneau à voiles, et, par conséquent, le seul moyen qu’il y eût de gagner Omaha en temps utile. Mais, par on ne sait

quel pressentiment, il se tint dans sa réserve accoutumée.

En tout cas, une chose que Passepartout n’oublierait jamais, c’était le sacrifice que Mr. Fogg avait fait, sans hésiter, pour l’arracher aux mains des Sioux. À cela, Mr. Fogg avait risqué sa fortune et sa vie... Non! son serviteur ne l’oublierait pas!

Pendant que chacun des voyageurs se laissait aller à des réflexions si diverses, le traîneau

volait sur l’immense tapis de neige. S’il passait quelques creeks, affluents ou sous-affluents de la Little-Blue-river, on ne s’en apercevait pas. Les champs et les cours d’eau disparaissaient sous une blancheur uniforme. La plaine était absolument déserte. Comprise entre l’Union

Pacific Road et l’embranchement qui doit réunir Kearney à Saint-Joseph, elle formait comme

une grande île inhabitée. Pas un village, pas une station, pas même un fort. De temps en

temps, on voyait passer comme un éclair quelque arbre grimaçant, dont le blanc squelette se

tordait sous la brise. Parfois, des bandes d’oiseaux sauvages s’enlevaient du même vol.

Parfois aussi, quelques loups de prairies, en troupes nombreuses, maigres, affamés, poussés

par un besoin féroce, luttaient de vitesse avec le traîneau. Alors Passepartout, le revolver à la main, se tenait prêt à faire feu sur les plus rapprochés. Si quelque accident eût alors arrêté le traîneau, les voyageurs, attaqués par ces féroces carnassiers, auraient couru les plus grands risques. Mais le traîneau tenait bon, il ne tardait pas à prendre de l’avance, et bientôt toute la bande hurlante restait en arrière.

À midi, Mudge reconnut à quelques indices qu’il passait le cours glacé de la Platte-river. Il ne dit rien, mais il était déjà sûr que, vingt milles plus loin, il aurait atteint la station d’Omaha.

Et, en effet, il n’était pas une heure, que ce guide habile, abandonnant la barre, se précipitait aux drisses des voiles et les amenait en bande, pendant que le traîneau, emporté par son

irrésistible élan, franchissait encore un demi-mille à sec de toile. Enfin il s’arrêta, et Mudge, montrant un amas de toits blancs de neige, disait:

«Nous sommes arrivés.»

Arrivés! Arrivés, en effet, à cette station qui, par des trains nombreux, est quotidiennement en communication avec l’est des États-Unis!

Passepartout et Fix avaient sauté à terre et secouaient leurs membres engourdis. Ils aidèrent Mr. Fogg et la jeune femme à descendre du traîneau. Phileas Fogg régla généreusement avec

Mudge, auquel Passepartout serra la main comme à un ami, et tous se précipitèrent vers la

gare d’Omaha.

C’est à cette importante cité du Nebraska que s’arrête le chemin de fer du Pacifique

proprement dit, qui met le bassin du Mississippi en communication avec le grand océan. Pour

aller d’Omaha à Chicago, le rail-road, sous le nom de «Chicago-Rock-island-road», court

directement dans l’est en desservant cinquante stations.

Un train direct était prêt à partir. Phileas Fogg et ses compagnons n’eurent que le temps de se précipiter dans un wagon. Ils n’avaient rien vu d’Omaha, mais Passepartout s’avoua à lui-même qu’il n’y avait pas lieu de le regretter, et que ce n’était pas de voir qu’il s’agissait.

Avec une extrême rapidité, ce train passa dans l’État d’Iowa, par Council-Bluffs, Des Moines, Iowa-city. Pendant la nuit, il traversait le Mississippi à Davenport, et par Rock-Island, il

entrait dans l’Illinois. Le lendemain, 10, à quatre heures du soir il arrivait à Chicago, déjà relevée de ses ruines, et plus fièrement assise que jamais sur les bords de son beau lac

Michigan.

Neuf cents milles séparent Chicago de New York. Les trains ne manquaient pas à Chicago.

Mr. Fogg passa immédiatement de l’un dans l’autre. La fringante locomotive du «Pittsburg-

Fort-Wayne-Chicago-rail-road» partit à toute vitesse, comme si elle eût compris que

l’honorable gentleman n’avait pas de temps à perdre. Elle traversa comme un éclair l’Indiana, l’Ohio, la Pennsylvanie, le New Jersey, passant par des villes aux noms antiques, dont

quelques-unes avaient des rues et des tramways, mais pas de maisons encore. Enfin l’Hudson

apparut, et, le 11 décembre, à onze heures un quart du soir, le train s’arrêtait dans la gare, sur la rive droite du fleuve, devant le «pier» même des steamers de la ligne Cunard, autrement

dite «British and North American royal mail steam packet Co.»

Le China, à destination de Liverpool, était parti depuis quarante-cinq minutes!

Chapitre 32

DANS LEQUEL PHILEAS FOGG ENGAGE UNE LUTTE DIRECTE CONTRE LA MAUVAISE CHANCE.

En partant, le China semblait avoir emporté avec lui le dernier espoir de Phileas Fogg.

En effet, aucun des autres paquebots qui font le service direct entre l’Amérique et l’Europe, ni les transatlantiques français, ni les navires du «White-Star-line», ni les steamers de la

Compagnie Imman, ni ceux de la ligne Hambourgeoise, ni autres, ne pouvaient servir les

projets du gentleman.

En effet, le Pereire, de la Compagnie transatlantique française — dont les admirables bâtiments égalent en vitesse et surpassent en confortable tous ceux des autres lignes, sans

exception —, ne partait que le surlendemain, 14 décembre. Et d’ailleurs, de même que ceux

de la Compagnie hambourgeoise, il n’allait pas directement à Liverpool ou à Londres, mais au

Havre, et cette traversée supplémentaire du Havre à Southampton, en retardant Phileas Fogg,

eût annulé ses derniers efforts.

Quant aux paquebots Imman, dont l’un, le City-of-Paris, mettait en mer le lendemain, il n’y fallait pas songer. Ces navires sont particulièrement affectés au transport des émigrants, leurs machines sont faibles, ils naviguent autant à la voile qu’à la vapeur, et leur vitesse est

médiocre. Ils employaient à cette traversée de New York à l’Angleterre plus de temps qu’il

n’en restait à Mr. Fogg pour gagner son pari.

De tout ceci le gentleman se rendit parfaitement compte en consultant son Bradshaw, qui lui donnait, jour par jour, les mouvements de la navigation transocéanienne.

Passepartout était anéanti. Avoir manqué le paquebot de quarante-cinq minutes, cela le tuait.

C’était sa faute à lui, qui, au lieu d’aider son maître, n’avait cessé de semer des obstacles sur sa route! Et quand il revoyait dans son esprit tous les incidents du voyage, quand il supputait les sommes dépensées en pure perte et dans son seul intérêt, quand il songeait que cet énorme pari, en y joignant les frais considérables de ce voyage devenu inutile, ruinait complètement Mr. Fogg, il s’accablait d’injures.

Mr. Fogg ne lui fit, cependant, aucun reproche, et, en quittant le pier des paquebots

transatlantiques, il ne dit que ces mots:

«Nous aviserons demain. Venez.»

Mr. Fogg, Mrs. Aouda, Fix, Passepartout traversèrent l’Hudson dans le Jersey-city-ferry-boat, et montèrent dans un fiacre, qui les conduisit à l’hôtel Saint-Nicolas, dans Broadway. Des

chambres furent mises à leur disposition, et la nuit se passa, courte pour Phileas Fogg, qui

dormit d’un sommeil parfait, mais bien longue pour Mrs. Aouda et ses compagnons, auxquels

leur agitation ne permit pas de reposer.

Le lendemain, c’était le 12 décembre. Du 12, sept heures du matin, au 21, huit heures

quarante-cinq minutes du soir, il restait neuf jours treize heures et quarante-cinq minutes. Si donc Phileas Fogg fût parti la veille par le China, l’un des meilleurs marcheurs de la ligne Cunard, il serait arrivé à Liverpool, puis à Londres, dans les délais voulus!

Mr. Fogg quitta l’hôtel, seul, après avoir recommandé à son domestique de l’attendre et de

prévenir Mrs. Aouda de se tenir prête à tout instant.

Mr. Fogg se rendit aux rives de l’Hudson, et parmi les navires amarrés au quai ou ancrés dans le fleuve, il rechercha avec soin ceux qui étaient en partance. Plusieurs bâtiments avaient leur guidon de départ et se préparaient à prendre la mer à la marée du matin, car dans cet immense et admirable port de New York, il n’est pas de jour où cent navires ne fassent route pour tous les points du monde; mais la plupart étaient des bâtiments à voiles, et ils ne pouvaient

convenir à Phileas Fogg.

Ce gentleman semblait devoir échouer dans sa dernière tentative, quand il aperçut, mouillé

devant la Batterie, à une encablure au plus, un navire de commerce à hélice, de formes fines, dont la cheminée, laissant échapper de gros flocons de fumée, indiquait qu’il se préparait à

appareiller.

Phileas Fogg héla un canot, s’y embarqua, et, en quelques coups d’aviron, il se trouvait à

l’échelle de l’ Henrietta, steamer à coque de fer, dont tous les hauts étaient en bois.

Le capitaine de l’ Henrietta était à bord. Phileas Fogg monta sur le pont et fit demander le capitaine. Celui-ci se présenta aussitôt.

C’était un homme de cinquante ans, une sorte le loup de mer, un bougon qui ne devait pas être commode. Gros yeux, teint de cuivre oxydé, cheveux rouges, forte encolure, — rien de

l’aspect d’un homme du monde.

«Le capitaine? demanda Mr. Fogg.

— C’est moi.

— Je suis Phileas Fogg, de Londres.

— Et moi, Andrew Speedy, de Cardif.

— Vous allez partir?...

— Dans une heure.

— Vous êtes chargé pour...?

— Bordeaux.

— Et votre cargaison?

— Des cailloux dans le ventre. Pas de fret. Je pars sur lest.

— Vous avez des passagers?

— Pas de passagers. Jamais de passagers. Marchandise encombrante et raisonnante.

— Votre navire marche bien?

— Entre onze et douze nœuds. L’ Henrietta, bien connue.

— Voulez-vous me transporter à Liverpool, moi et trois personnes?

— À Liverpool? Pourquoi pas en Chine?

— Je dis Liverpool.

— Non!

— Non?

— Non. Je suis en partance pour Bordeaux, et je vais à Bordeaux.

— N’importe quel prix?

— N’importe quel prix.»

Le capitaine avait parlé d’un ton qui n’admettait pas de réplique.

«Mais les armateurs de l’ Henrietta... reprit Phileas Fogg.

— Les armateurs, c’est moi, répondit le capitaine. Le navire m’appartient.

— Je vous affrète.

— Non.

— Je vous l’achète.

— Non.»

Phileas Fogg ne sourcilla pas. Cependant la situation était grave. Il n’en était pas de New

York comme de Hong-Kong, ni du capitaine de l’ Henrietta comme du patron de la

Tankadère. Jusqu’ici l’argent du gentleman avait toujours eu raison des obstacles. Cette fois-ci, l’argent échouait.

Cependant, il fallait trouver le moyen de traverser l’Atlantique en bateau — à moins de le

traverser en ballon —, ce qui eût été fort aventureux, et ce qui, d’ailleurs, n’était pas

réalisable.

Il paraît, pourtant, que Phileas Fogg eut une idée, car il dit au capitaine:

«Eh bien, voulez-vous me mener à Bordeaux?

— Non, quand même vous me paieriez deux cents dollars!

— Je vous en offre deux mille (10,000 fr.).

— Par personne?

— Par personne.

— Et vous êtes quatre?

— Quatre.»

Le capitaine Speedy commença à se gratter le front, comme s’il eût voulu en arracher

l’épiderme. Huit mille dollars à gagner, sans modifier son voyage, cela valait bien la peine

qu’il mît de côté son antipathie prononcée pour toute espèce de passager. Des passagers à

deux mille dollars, d’ailleurs, ce ne sont plus des passagers, c’est de la marchandise précieuse.

«Je pars à neuf heures, dit simplement le capitaine Speedy, et si vous et les vôtres, vous êtes là?...

— À neuf heures, nous serons à bord!» répondit non moins simplement Mr. Fogg.

Il était huit heures et demie. Débarquer de l’ Henrietta, monter dans une voiture, se rendre à l’hôtel Saint-Nicolas, en ramener Mrs. Aouda, Passepartout, et même l’inséparable Fix,

auquel il offrait gracieusement le passage, cela fut fait par le gentleman avec ce calme qui ne l’abandonnait en aucune circonstance.

Au moment où l’ Henrietta appareillait, tous quatre étaient à bord.

Lorsque Passepartout apprit ce que coûterait cette dernière traversée, il poussa un de ces

«Oh!» prolongés, qui parcourent tous les intervalles de la gamme chromatique

descendante!

Quant à l’inspecteur Fix, il se dit que décidément la Banque d’Angleterre ne sortirait pas

indemne de cette affaire. En effet, en arrivant et en admettant que le sieur Fogg n’en jetât pas encore quelques poignées à la mer, plus de sept mille livres (175,000 fr.) manqueraient au sac à bank-notes!

Chapitre 33

OU PHILEAS FOGG SE MONTRE A LA HAUTEUR DES CIRCONSTANCES.

Une heure après, le steamer Henrietta dépassait le Light-boat qui marque l’entrée de

l’Hudson, tournait la pointe de Sandy-Hook et donnait en mer. Pendant la journée, il

prolongea Long-Island, au large du feu de Fire-Island, et courut rapidement vers l’est.

Le lendemain, 13 décembre, à midi, un homme monta sur la passerelle pour faire le point.

Certes, on doit croire que cet homme était le capitaine Speedy! Pas le moins du monde.

C’était Phileas Fogg. esq.

Quant au capitaine Speedy, il était tout bonnement enfermé à clef dans sa cabine, et poussait des hurlements qui dénotaient une colère, bien pardonnable, poussée jusqu’au paroxysme.

Ce qui s’était passé était très simple. Phileas Fogg voulait aller à Liverpool, le capitaine ne voulait pas l’y conduire. Alors Phileas Fogg avait accepté de prendre passage pour Bordeaux,

et, depuis trente heures qu’il était à bord, il avait si bien manœuvré à coups de bank-notes, que l’équipage, matelots et chauffeurs — équipage un peu interlope, qui était en assez mauvais

termes avec le capitaine —, lui appartenait. Et voilà pourquoi Phileas Fogg commandait au

lieu et place du capitaine Speedy, pourquoi le capitaine était enfermé dans sa cabine, et

pourquoi enfin l’ Henrietta se dirigeait vers Liverpool. Seulement, il était très clair, à voir manœuvrer Mr. Fogg, que Mr. Fogg avait été marin.

Maintenant, comment finirait l’aventure, on le saurait plus tard. Toutefois, Mrs. Aouda ne

laissait pas d’être inquiète, sans en rien dire. Fix, lui, avait été abasourdi tout d’abord. Quant à Passepartout, il trouvait la chose tout simplement adorable.

«Entre onze et douze nœuds», avait dit le capitaine Speedy, et en effet l’ Henrietta se maintenait dans cette moyenne de vitesse.

Si donc — que de «si» encore! — si donc la mer ne devenait pas trop mauvaise, si le vent

ne sautait pas dans l’est, s’il ne survenait aucune avarie au bâtiment, aucun accident à la

machine, l’ Henrietta, dans les neuf jours comptés du 12 décembre au 21, pouvait franchir les trois mille milles qui séparent New York de Liverpool. Il est vrai qu’une fois arrivé, l’affaire de l’ Henrietta brochant sur l’affaire de la Banque, cela pouvait mener le gentleman un peu plus loin qu’il ne voudrait.

Pendant les premiers jours, la navigation se fit dans d’excellentes conditions. La mer n’était pas trop dure; le vent paraissait fixé au nord-est; les voiles furent établies, et, sous ses goélettes, l’ Henrietta marcha comme un vrai transatlantique.

Passepartout était enchanté. Le dernier exploit de son maître, dont il ne voulait pas voir les conséquences, l’enthousiasmait. Jamais l’équipage n’avait vu un garçon plus gai, plus agile. Il faisait mille amitiés aux matelots et les étonnait par ses tours de voltige. Il leur prodiguait les meilleurs noms et les boissons les plus attrayantes. Pour lui, ils manœuvraient comme des

gentlemen, et les chauffeurs chauffaient comme des héros. Sa bonne humeur, très

communicative, s’imprégnait à tous. Il avait oublié le passé, les ennuis, les périls. Il ne

songeait qu’à ce but, si près d’être atteint, et parfois il bouillait d’impatience, comme s’il eût été chauffé par les fourneaux de l’ Henrietta. Souvent aussi, le digne garçon tournait autour de Fix; il le regardait d’un œil «qui en disait long»! mais il ne lui parlait pas, car il n’existait plus aucune intimité entre les deux anciens amis.

D’ailleurs Fix, il faut le dire, n’y comprenait plus rien! La conquête de l’ Henrietta, l’achat de son équipage, ce Fogg manœuvrant comme un marin consommé, tout cet ensemble de choses

l’étourdissait. Il ne savait plus que penser! Mais, après tout, un gentleman qui commençait

par voler cinquante-cinq mille livres pouvait bien finir par voler un bâtiment. Et Fix fut

naturellement amené à croire que l’ Henrietta, dirigée par Fogg, n’allait point du tout à Liverpool, mais dans quelque point du monde où le voleur, devenu pirate, se mettrait

tranquillement en sûreté! Cette hypothèse, il faut bien l’avouer, était on ne peut plus plausible, et le détective commençait à regretter très sérieusement de s’être embarqué dans cette affaire.

Quant au capitaine Speedy, il continuait à hurler dans sa cabine, et Passepartout, chargé de

pourvoir à sa nourriture, ne le faisait qu’en prenant les plus grandes précautions, quelque

vigoureux qu’il fût. Mr. Fogg, lui, n’avait plus même l’air de se douter qu’il y eût un capitaine à bord.

Le 13, on passe sur la queue du banc de Terre-Neuve. Ce sont là de mauvais parages. Pendant

l’hiver surtout, les brumes y sont fréquentes, les coups de vent redoutables. Depuis la veille, le baromètre, brusquement abaissé, faisait pressentir un changement prochain dans

l’atmosphère. En effet, pendant la nuit, la température se modifia, le froid devint plus vif, et en même temps le vent sauta dans le sud-est.

C’était un contretemps. Mr. Fogg, afin de ne point s’écarter de sa route, dut serrer ses voiles et forcer de vapeur. Néanmoins, la marche du navire fut ralentie, attendu l’état de la mer, dont les longues lames brisaient contre son étrave. Il éprouva des mouvements de tangage très

violents, et cela au détriment de sa vitesse. La brise tournait peu à peu à l’ouragan, et l’on prévoyait déjà le cas où l’ Henrietta ne pourrait plus se maintenir debout à la lame. Or, s’il fallait fuir, c’était l’inconnu avec toutes ses mauvaises chances.

Le visage de Passepartout se rembrunit en même temps que le ciel, et, pendant deux jours,

l’honnête garçon éprouva de mortelles transes. Mais Phileas Fogg était un marin hardi, qui

savait tenir tête à la mer, et il fit toujours route, même sans se mettre sous petite vapeur.

L’ Henrietta, quand elle ne pouvait s’élever à la lame, passait au travers, et son pont était balayé en grand, mais elle passait. Quelquefois aussi l’hélice émergeait, battant l’air de ses branches affolées, lorsqu’une montagne d’eau soulevait l’arrière hors des flots, mais le navire allait toujours de l’avant.

Toutefois le vent ne fraîchit pas autant qu’on aurait pu le craindre. Ce ne fut pas un de ces ouragans qui passent avec une vitesse de quatre-vingt-dix milles à l’heure. Il se tint au grand frais, mais malheureusement il souffla avec obstination de la partie du sud-est et ne permit pas de faire de la toile. Et cependant, ainsi qu’on va le voir, il eût été bien utile de venir en aide à la vapeur!

Le 16 décembre, c’était le soixante quinzième jour écoulé depuis le départ de Londres. En

somme, l’ Henrietta n’avait pas encore un retard inquiétant. La moitié de la traversée était à peu près faite, et les plus mauvais parages avaient été franchis. En été, on eût répondu du

succès. En hiver, on était à la merci de la mauvaise saison. Passepartout ne se prononçait pas.

Au fond, il avait espoir, et, si le vent faisait défaut, du moins il comptait sur la vapeur.

Or, ce jour-là, le mécanicien étant monté sur le pont, rencontra Mr. Fogg et s’entretint assez vivement avec lui.

Sans savoir pourquoi — par un pressentiment sans doute —, Passepartout éprouva comme

une vague inquiétude. Il eût donné une de ses oreilles pour entendre de l’autre ce qui se disait là. Cependant, il put saisir quelques mots, ceux-ci entre autres, prononcés par son maître:

«Vous êtes certain de ce que vous avancez?

— Certain, monsieur, répondit le mécanicien. N’oubliez pas que, depuis notre départ, nous

chauffons avec tous nos fourneaux allumés, et si nous avions assez de charbon pour aller à

petite vapeur de New York à Bordeaux, nous n’en avons pas assez pour aller à toute vapeur

de New York à Liverpool!

— J’aviserai», répondit Mr. Fogg.

Passepartout avait compris. Il fut pris d’une inquiétude mortelle.

Le charbon allait manquer!

«Ah! si mon maître pare celle-là, se dit-il, décidément ce sera un fameux homme!»

Et ayant rencontré Fix, il ne put s’empêcher de le mettre au courant de la situation.

«Alors, lui répondit l’agent les dents serrées, vous croyez que nous allons à Liverpool!

— Parbleu!

— Imbécile!» répondit l’inspecteur, qui s’en alla, haussant les épaules.

Passepartout fut sur le point de relever vertement le qualificatif, dont il ne pouvait d’ailleurs comprendre la vraie signification; mais il se dit que l’infortuné Fix devait être très






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