![]() ТОР 5 статей: Методические подходы к анализу финансового состояния предприятия Проблема периодизации русской литературы ХХ века. Краткая характеристика второй половины ХХ века Характеристика шлифовальных кругов и ее маркировка Служебные части речи. Предлог. Союз. Частицы КАТЕГОРИИ:
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Chapitre III M. MabeufLa bourse de Jean Valjean fut inutile а M. Mabeuf. M. Mabeuf, dans sa vйnйrable austйritй enfantine, n’avait point acceptй le cadeau des astres; il n’avait point admis qu’une йtoile pыt se monnayer en louis d’or. Il n’avait pas devinй que ce qui tombait du ciel venait de Gavroche. Il avait portй la bourse au commissaire de police du quartier, comme objet perdu mis par le trouveur а la disposition des rйclamants. La bourse fut perdue en effet. Il va sans dire que personne ne la rйclama, et elle ne secourut point M. Mabeuf.
Du reste, M. Mabeuf avait continuй de descendre.
Les expйriences sur l’indigo n’avaient pas mieux rйussi au Jardin des plantes que dans son jardin d’Austerlitz. L’annйe d’auparavant, il devait les gages de sa gouvernante; maintenant, on l’a vu, il devait les termes de son loyer. Le mont-de-piйtй, au bout des treize mois йcoulйs, avait vendu les cuivres de sa Flore. Quelque chaudronnier en avait fait des casseroles. Ses cuivres disparus, ne pouvant plus complйter mкme les exemplaires dйpareillйs de sa Flore qu’il possйdait encore, il avait cйdй а vil prix а un libraire-brocanteur planches et texte, comme dйfets. Il ne lui йtait plus rien restй de l’њuvre de toute sa vie. Il se mit а manger l’argent de ces exemplaires. Quand il vit que cette chйtive ressource s’йpuisait, il renonзa а son jardin et le laissa en friche. Auparavant, et longtemps auparavant, il avait renoncй aux deux њufs et au morceau de bњuf qu’il mangeait de temps en temps. Il dоnait avec du pain et des pommes de terre. Il avait vendu ses derniers meubles, puis tout ce qu’il avait en double en fait de literie, de vкtements et de couvertures, puis ses herbiers et ses estampes; mais il avait encore ses livres les plus prйcieux, parmi lesquels plusieurs d’une haute raretй, entre autres les Quadrains historiques de la Bible, йdition de 1560, la Concordance des Bibles de Pierre de Besse, les Marguerites de la Marguerite de Jean de La Haye avec dйdicace а la reine de Navarre, le livre de la Charge et dignitй de l’ambassadeur par le sieur de Villiers-Hotman, un Florilegium rabbinicum de 1644, un Tibulle de 1567 avec cette splendide inscription: Venetiis, in oedibus Manutianis; enfin un Diogиne Laлrce[135], imprimй а Lyon en 1644, et oщ se trouvaient les fameuses variantes du manuscrit 411, treiziиme siиcle, du Vatican, et celles des deux manuscrits de Venise, 393 et 394, si fructueusement consultйs par Henri Estienne, et tous les passages en dialecte dorique qui ne se trouvent que dans le cйlиbre manuscrit du douziиme siиcle de la bibliothиque de Naples. M. Mabeuf ne faisait jamais de feu dans sa chambre et se couchait avec le jour pour ne pas brыler de chandelle. Il semblait qu’il n’eыt plus de voisins, on l’йvitait quand il sortait, il s’en apercevait. La misиre d’un enfant intйresse une mиre, la misиre d’un jeune homme intйresse une jeune fille, la misиre d’un vieillard n’intйresse personne. C’est de toutes les dйtresses la plus froide. Cependant le pиre Mabeuf n’avait pas entiиrement perdu sa sйrйnitй d’enfant. Sa prunelle prenait quelque vivacitй lorsqu’elle se fixait sur ses livres, et il souriait lorsqu’il considйrait le Diogиne Laлrce, qui йtait un exemplaire unique. Son armoire vitrйe йtait le seul meuble qu’il eыt conservй en dehors de l’indispensable.
Un jour la mиre Plutarque lui dit:
– Je n’ai pas de quoi acheter le dоner.
Ce qu’elle appelait le dоner, c’йtait un pain et quatre ou cinq pommes de terre.
– А crйdit? fit M. Mabeuf.
– Vous savez bien qu’on me refuse.
M. Mabeuf ouvrit sa bibliothиque, regarda longtemps tous ses livres l’un aprиs l’autre, comme un pиre obligй de dйcimer ses enfants les regarderait avant de choisir, puis en prit un vivement, le mit sous son bras, et sortit. Il rentra deux heures aprиs n’ayant plus rien sous le bras, posa trente sous sur la table et dit:
– Vous ferez а dоner.
А partir de ce moment, la mиre Plutarque vit s’abaisser sur le candide visage du vieillard un voile sombre qui ne se releva plus.
Le lendemain, le surlendemain, tous les jours, il fallut recommencer. M. Mabeuf sortait avec un livre et rentrait avec une piиce d’argent. Comme les libraires brocanteurs le voyaient forcй de vendre, ils lui rachetaient vingt sous ce qu’il avait payй vingt francs, quelquefois aux mкmes libraires. Volume а volume, toute la bibliothиque y passait. Il disait par moments: J’ai pourtant quatre-vingts ans, comme s’il avait je ne sais quelle arriиre-espйrance d’arriver а la fin de ses jours avant d’arriver а la fin de ses livres. Sa tristesse croissait. Une fois pourtant il eut une joie. Il sortit avec un Robert Estienne qu’il vendit trente-cinq sous quai Malaquais et revint avec un Alde qu’il avait achetй quarante sous rue des Grиs. – Je dois cinq sous, dit-il tout rayonnant а la mиre Plutarque. Ce jour-lа il ne dоna point.
Il йtait de la Sociйtй d’horticulture. On y savait son dйnыment. Le prйsident de cette sociйtй le vint voir, lui promit de parler de lui au ministre de l’Agriculture et du Commerce, et le fit. – Mais comment donc! s’йcria le ministre. Je crois bien! Un vieux savant! un botaniste! un bonhomme inoffensif! Il faut faire quelque chose pour lui! Le lendemain M. Mabeuf reзut une invitation а dоner chez le ministre. Il montra en tremblant de joie la lettre а la mиre Plutarque. – Nous sommes sauvйs! dit-il. Au jour fixй, il alla chez le ministre. Il s’aperзut que sa cravate chiffonnйe, son grand vieil habit carrй et ses souliers cirйs а l’њuf йtonnaient les huissiers. Personne ne lui parla, pas mкme le ministre. Vers dix heures du soir, comme il attendait toujours une parole, il entendit la femme du ministre, belle dame dйcolletйe dont il n’avait osй s’approcher, qui demandait: Quel est donc ce vieux monsieur? Il s’en retourna chez lui а pied, а minuit, par une pluie battante. Il avait vendu un Elzйvir pour payer son fiacre en allant.
Tous les soirs avant de se coucher il avait pris l’habitude de lire quelques pages de son Diogиne Laлrce. Il savait assez de grec pour jouir des particularitйs du texte qu’il possйdait. Il n’avait plus maintenant d’autre joie. Quelques semaines s’йcoulиrent. Tout а coup la mиre Plutarque tomba malade. Il est une chose plus triste que de n’avoir pas de quoi acheter du pain chez le boulanger, c’est de n’avoir pas de quoi acheter des drogues chez l’apothicaire. Un soir, le mйdecin avait ordonnй une potion fort chиre. Et puis, la maladie s’aggravait, il fallait une garde. M. Mabeuf ouvrit sa bibliothиque, il n’y avait plus rien. Le dernier volume йtait parti. Il ne lui restait que le Diogиne Laлrce.
Il mit l’exemplaire unique sous son bras et sortit, c’йtait le 4 juin 1832; il alla porte Saint-Jacques chez le successeur de Royol, et revint avec cent francs. Il posa la pile de piиces de cinq francs sur la table de nuit de la vieille servante et rentra dans sa chambre sans dire une parole.
Le lendemain, dиs l’aube, il s’assit sur la borne renversйe dans son jardin, et par-dessus la haie on put le voir toute la matinйe immobile, le front baissй, l’њil vaguement fixй sur ses plates-bandes flйtries. Il pleuvait par instants, le vieillard ne semblait pas s’en apercevoir. Dans l’aprиs-midi, des bruits extraordinaires йclatиrent dans Paris. Cela ressemblait а des coups de fusil et aux clameurs d’une multitude.
Le pиre Mabeuf leva la tкte. Il aperзut un jardinier qui passait, et demanda:
– Qu’est-ce que c’est?
Le jardinier rйpondit, sa bкche sur le dos, et de l’accent le plus paisible:
– Ce sont des йmeutes.
– Comment! des йmeutes?
– Oui. On se bat.
– Pourquoi se bat-on?
– Ah! dame! fit le jardinier.
– De quel cфtй? reprit M. Mabeuf.
– Du cфtй de l’Arsenal.
Le pиre Mabeuf rentra chez lui, prit son chapeau, chercha machinalement un livre pour le mettre sous son bras, n’en trouva point, dit: Ah c’est vrai et s’en alla d’un air йgarй. Не нашли, что искали? Воспользуйтесь поиском:
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