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Ïðîáëåìà ïåðèîäèçàöèè ðóññêîé ëèòåðàòóðû ÕÕ âåêà. Êðàòêàÿ õàðàêòåðèñòèêà âòîðîé ïîëîâèíû ÕÕ âåêà

Öåíîâûå è íåöåíîâûå ôàêòîðû

Õàðàêòåðèñòèêà øëèôîâàëüíûõ êðóãîâ è åå ìàðêèðîâêà

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ÊÀÒÅÃÎÐÈÈ:






Chapitre IV Changement de grille




Il semblait que ce jardin, créé autrefois pour cacher les mystères libertins, se fût transformé et fût devenu propre à abriter les mystères chastes. Il n’avait plus ni berceaux, ni boulingrins, ni tonnelles, ni grottes; il avait une magnifique obscurité échevelée tombant comme un voile de toutes parts. Paphos s’était refait Éden. On ne sait quoi de repentant avait assaini cette retraite. Cette bouquetière offrait maintenant ses fleurs à l’âme. Ce coquet jardin, jadis fort compromis, était rentré dans la virginité et la pudeur. Un président assisté d’un jardinier, un bonhomme qui croyait continuer Lamoignon et un autre bonhomme qui croyait continuer Le Nôtre, l’avaient contourné, taillé, chiffonné, attifé, façonné pour la galanterie; la nature l’avait ressaisi, l’avait rempli d’ombre, et l’avait arrangé pour l’amour.

 

il y avait aussi dans cette solitude un cœur qui était tout prêt. L’amour n’avait qu’à se montrer; il avait là un temple composé de verdures, d’herbe, de mousse, de soupirs d’oiseaux, de molles ténèbres, de branches agitées, et une âme faite de douceur, de foi, de candeur, d’espoir, d’aspiration et d’illusion.

 

Cosette était sortie du couvent encore presque enfant; elle avait un peu plus de quatorze ans, et elle était «dans l’âge ingrat»; nous l’avons dit, à part les yeux, elle semblait plutôt laide que jolie; elle n’avait cependant aucun trait disgracieux, mais elle était gauche, maigre, timide et hardie à la fois, une grande petite fille enfin.

 

Son éducation était terminée; C’est-à-dire on lui avait appris la religion, et même, et surtout la dévotion; puis «l’histoire», c’est-à-dire la chose qu’on appelle ainsi au couvent, la géographie, la grammaire, les participes, les rois de France, un peu de musique, à faire un nez, etc., mais du reste elle ignorait tout, ce qui est un charme et un péril. L’âme d’une jeune fille ne doit pas être laissée obscure; plus tard, il s’y fait des mirages trop brusques et trop vifs comme dans une chambre noire. Elle doit être doucement et discrètement éclairée, plutôt du reflet des réalités que de leur lumière directe et dure. Demi-jour utile et gracieusement austère qui dissipe les peurs puériles et empêche les chutes. Il n’y a que l’instinct maternel, intuition admirable où entrent les souvenirs de la vierge et l’expérience de la femme, qui sache comment et de quoi doit être fait ce demi-jour. Rien ne supplée à cet instinct. Pour former l’âme d’une jeune fille, toutes les religieuses du monde ne valent pas une mère.

 

Cosette n’avait pas eu de mère. Elle n’avait eu que beaucoup de mères au pluriel.

 

Quant à Jean Valjean, il y avait bien en lui toutes les tendresses à la fois, et toutes les sollicitudes; mais ce n’était qu’un vieux homme qui ne savait rien du tout.

 

Or, dans cette œuvre de l’éducation, dans cette grave affaire de la préparation d’une femme à la vie, que de science il faut pour lutter contre cette grande ignorance qu’on appelle l’innocence!

 

Rien ne prépare une jeune fille aux passions comme le couvent. Le couvent tourne la pensée du côté de l’inconnu. Le cœur, replié sur lui-même, se creuse, ne pouvant s’épancher, et s’approfondit, ne pouvant s’épanouir. De là des visions, des suppositions, des conjectures, des romans ébauchés, des aventures souhaitées, des constructions fantastiques, des édifices tout entiers bâtis dans l’obscurité intérieure de l’esprit, sombres et secrètes demeures où les passions trouvent tout de suite à se loger dès que la grille franchie leur permet d’entrer. Le couvent est une compression[44] qui, pour triompher du cœur humain, doit durer toute la vie.

 

En quittant le couvent, Cosette ne pouvait rien trouver de plus doux et de plus dangereux que la maison de la rue Plumet. C’était la continuation de la solitude avec le commencement de la liberté; un jardin fermé, mais une nature âcre, riche, voluptueuse et odorante; les mêmes songes que dans le couvent, mais de jeunes hommes entrevus; une grille, mais sur la rue.

 

Cependant, nous le répétons, quand elle y arriva, elle n’était encore qu’un enfant. Jean Valjean lui livra ce jardin inculte. – Fais-y tout ce que tu voudras, lui disait-il. Cela amusait Cosette; elle en remuait toutes les touffes et toutes les pierres, elle y cherchait «des bêtes»; elle y jouait, en attendant qu’elle y rêvât; elle aimait ce jardin pour les insectes qu’elle y trouvait sous ses pieds à travers l’herbe, en attendant qu’elle l’aimât pour les étoiles qu’elle y verrait dans les branches au-dessus de sa tête.

 

Et puis, elle aimait son père, c’est-à-dire Jean Valjean, de toute son âme, avec une naïve passion filiale qui lui faisait du bonhomme un compagnon désiré et charmant. On se souvient que M. Madeleine lisait beaucoup, Jean Valjean avait continué; il en était venu à causer bien; il avait la richesse secrète et l’éloquence d’une intelligence humble et vraie qui s’est spontanément cultivée. Il lui était resté juste assez d’âpreté pour assaisonner sa bonté; c’était un esprit rude et un cœur doux. Au Luxembourg, dans leurs tête-à-tête, il faisait de longues explications de tout, puisant dans ce qu’il avait lu, puisant aussi dans ce qu’il avait souffert. Tout en l’écoutant, les yeux de Cosette erraient vaguement.

 

Cet homme simple suffisait à la pensée de Cosette, de même que ce jardin sauvage à ses yeux. Quand elle avait bien poursuivi les papillons, elle arrivait près de lui essoufflée et disait: Ah! comme j’ai couru! Il la baisait au front[45].

 

Cosette adorait le bonhomme. Elle était toujours sur ses talons. Là où était Jean Valjean était le bien-être. Comme Jean Valjean n’habitait ni le pavillon, ni le jardin, elle se plaisait mieux dans l’arrière-cour pavée que dans l’enclos plein de fleurs, et dans la petite loge meublée de chaises de paille que dans le grand salon tendu de tapisseries où s’adossaient des fauteuils capitonnés. Jean Valjean lui disait quelquefois, en souriant du bonheur d’être importuné: – Mais va-t’en chez toi! Laisse-moi donc un peu seul!

 

Elle lui faisait de ces charmantes gronderies tendres qui ont tant de grâce remontant de la fille au père:

 

– Père, j’ai très froid chez vous; pourquoi ne mettez-vous pas ici un tapis et un poêle?

 

– Chère enfant, il y a tant de gens qui valent mieux que moi et qui n’ont même pas un toit sur leur tête.

 

– Alors pourquoi y a-t-il du feu chez moi et tout ce qu’il faut?

 

– Parce que tu es une femme et un enfant.

 

– Bah! les hommes doivent donc avoir froid et être mal?

 

– Certains hommes.

 

– C’est bon, je viendrai si souvent ici que vous serez bien obligé d’y faire du feu.

 

Elle lui disait encore:

 

– Père, Pourquoi mangez-vous du vilain pain comme cela?

 

– Parce que…, ma fille.

 

– Eh bien, si vous en mangez, j’en mangerai.

 

Alors, pour que Cosette ne mangeât pas de pain noir, Jean Valjean mangeait du pain blanc.

 

Cosette ne se rappelait que confusément son enfance. Elle priait matin et soir pour sa mère qu’elle n’avait pas connue. Les Thénardier lui étaient restés comme deux figures hideuses à l’état de rêve. Elle se rappelait qu’elle avait été «un jour, la nuit» chercher de l’eau dans un bois. Elle croyait que c’était très loin de Paris. Il lui semblait qu’elle avait commencé à vivre dans un abîme et que c’était Jean Valjean qui l’en avait tirée. Son enfance lui faisait l’effet d’un temps où il n’y avait autour d’elle que des mille-pieds, des araignées, et des serpents. Quand elle songeait le soir avant de s’endormir, comme elle n’avait pas une idée très nette d’être la fille de Jean Valjean et qu’il fût son père, elle s’imaginait que l’âme de sa mère avait passé dans ce bonhomme et était venue demeurer auprès d’elle.

 

Lorsqu’il était assis, elle appuyait sa joue sur ses cheveux blancs et y laissait silencieusement tomber une larme en se disant: C’est peut-être ma mère, cet homme-là!

 

Cosette, quoique ceci soit étrange à énoncer, dans sa profonde ignorance de fille élevée au couvent, la maternité d’ailleurs étant absolument inintelligible à la virginité, avait fini par se figurer qu’elle avait eu aussi peu de mère que possible. Cette mère, elle ne savait pas même son nom. Toutes les fois qu’il lui arrivait de le demander à Jean Valjean, Jean Valjean se taisait. Si elle répétait sa question, il répondait par un sourire. Une fois elle insista; le sourire s’acheva par une larme.

 

Ce silence de Jean Valjean couvrait de nuit Fantine.

 

Etait-ce prudence? était-ce respect? était-ce crainte de livrer ce nom aux hasards d’une autre mémoire que la sienne?

 

Tant que Cosette avait été petite, Jean Valjean lui avait volontiers parlé de sa mère; quand elle fut jeune fille, cela lui fut impossible. Il lui sembla qu’il n’osait plus. Était-ce à cause de Cosette? était-ce à cause de Fantine? il éprouvait une sorte d’horreur religieuse à faire entrer cette ombre dans la pensée de Cosette, et à mettre la morte en tiers dans leur destinée. Plus cette ombre lui était sacrée, plus elle lui semblait redoutable. Il songeait à Fantine et se sentait accablé de silence. Il voyait vaguement dans les ténèbres quelque chose qui ressemblait à un doigt sur une bouche. Toute cette pudeur qui avait été dans Fantine et qui, pendant sa vie, était sortie d’elle violemment, était-elle revenue après sa mort se poser sur elle, veiller, indignée, sur la paix de cette morte, et, farouche, la garder dans sa tombe? Jean Valjean, à son insu, en subissait-il la pression? Nous qui croyons en la mort, nous ne sommes pas de ceux qui rejetteraient cette explication mystérieuse. De là l’impossibilité de prononcer, même pour Cosette, ce nom: Fantine.

 

Un jour Cosette lui dit:

 

– Père, j’ai vu cette nuit ma mère en songe. Elle avait deux grandes ailes. Ma mère dans sa vie doit avoir touché à la sainteté.

 

– Par le martyre, répondit Jean Valjean.

 

Du reste, Jean Valjean était heureux.

 

Quand Cosette sortait avec lui, elle s’appuyait sur son bras, fière, heureuse, dans la plénitude du cœur. Jean Valjean, à toutes ces marques d’une tendresse si exclusive et si satisfaite de lui seul, sentait sa pensée se fondre en délices. Le pauvre homme tressaillait inondé d’une joie angélique; il s’affirmait avec transport que cela durerait toute la vie; il se disait qu’il n’avait vraiment pas assez souffert pour mériter un si radieux bonheur, et il remerciait Dieu, dans les profondeurs de son âme, d’avoir permis qu’il fût ainsi aimé, lui misérable, par cet être innocent.






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