![]() ТОР 5 статей: Методические подходы к анализу финансового состояния предприятия Проблема периодизации русской литературы ХХ века. Краткая характеристика второй половины ХХ века Характеристика шлифовальных кругов и ее маркировка Служебные части речи. Предлог. Союз. Частицы КАТЕГОРИИ:
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Chapitre I Pleine lumiиreLe lecteur a compris qu’Йponine, ayant reconnu а travers la grille l’habitante de cette rue Plumet oщ Magnon l’avait envoyйe, avait commencй par йcarter les bandits de la rue Plumet, puis y avait conduit Marius, et qu’aprиs plusieurs jours d’extase devant cette grille, Marius, entraоnй par cette force qui pousse le fer vers l’aimant et l’amoureux vers les pierres dont est faite la maison de celle qu’il aime, avait fini par entrer dans le jardin de Cosette comme Romйo dans le jardin de Juliette. Cela mкme lui avait йtй plus facile qu’а Romйo; Romйo йtait obligй d’escalader un mur, Marius n’eut qu’а forcer un peu un des barreaux de la grille dйcrйpite qui vacillait dans son alvйole rouillй, а la maniиre des dents des vieilles gens. Marius йtait mince et passa aisйment.
Comme il n’y avait jamais personne dans la rue et que d’ailleurs Marius ne pйnйtrait dans le jardin que la nuit, il ne risquait pas d’кtre vu.
А partir de cette heure bйnie et sainte oщ un baiser fianзa ces deux вmes, Marius vint lа tous les soirs. Si, а ce moment de sa vie, Cosette йtait tombйe dans l’amour d’un homme peu scrupuleux et libertin, elle йtait perdue; car il y a des natures gйnйreuses qui se livrent, et Cosette en йtait une. Une des magnanimitйs de la femme, c’est de cйder. L’amour, а cette hauteur oщ il est absolu, se complique d’on ne sait quel cйleste aveuglement de la pudeur. Mais que de dangers vous courez, ф nobles вmes! Souvent, vous donnez le cњur, nous prenons le corps. Votre cњur vous reste, et vous le regardez dans l’ombre en frйmissant. L’amour n’a point de moyen terme; ou il perd, ou il sauve. Toute la destinйe humaine est ce dilemme-lа. Ce dilemme, perte ou salut, aucune fatalitй ne le pose plus inexorablement que l’amour. L’amour est la vie, s’il n’est pas la mort. Berceau; cercueil aussi. Le mкme sentiment dit oui et non dans le cњur humain. De toutes les choses que Dieu a faites, le cњur humain est celle qui dйgage le plus de lumiиre, hйlas! et le plus de nuit.
Dieu voulut que l’amour que Cosette rencontra fыt un de ces amours qui sauvent.
Tant que dura le mois de mai de cette annйe 1832, il y eut lа, toutes les nuits, dans ce pauvre jardin sauvage, sous cette broussaille chaque jour plus odorante et plus йpaissie, deux кtres composйs de toutes les chastetйs et de toutes les innocences, dйbordant de toutes les fйlicitйs du ciel, plus voisins des archanges que des hommes, purs, honnкtes, enivrйs, rayonnants, qui resplendissaient l’un pour l’autre dans les tйnиbres. Il semblait а Cosette que Marius avait une couronne et а Marius que Cosette avait un nimbe. Ils se touchaient, ils se regardaient, ils se prenaient les mains, ils se serraient l’un contre l’autre; mais il y avait une distance qu’ils ne franchissaient pas. Non qu’ils la respectassent; ils l’ignoraient. Marius sentait une barriиre, la puretй de Cosette, et Cosette sentait un appui, la loyautй de Marius. Le premier baiser avait йtй aussi le dernier. Marius, depuis, n’йtait pas allй au-delа d’effleurer de ses lиvres la main, ou le fichu, ou une boucle de cheveux de Cosette. Cosette йtait pour lui un parfum et non une femme. Il la respirait. Elle ne refusait rien et il ne demandait rien. Cosette йtait heureuse, et Marius йtait satisfait. Ils vivaient dans ce ravissant йtat qu’on pourrait appeler l’йblouissement d’une вme par une вme. C’йtait cet ineffable premier embrassement de deux virginitйs dans l’idйal. Deux cygnes se rencontrant sur la Jungfrau.
А cette heure-lа de l’amour, heure oщ la voluptй se tait absolument sous la toute-puissance de l’extase, Marius, le pur et sйraphique Marius, eыt йtй plutфt capable de monter chez une fille publique que de soulever la robe de Cosette а la hauteur de la cheville. Une fois, а un clair de lune, Cosette se pencha pour ramasser quelque chose а terre, son corsage s’entr’ouvrit et laissa voir la naissance de sa gorge, Marius dйtourna les yeux.
Que se passait-il entre ces deux кtres? Rien. Ils s’adoraient.
La nuit, quand ils йtaient lа, ce jardin semblait un lieu vivant et sacrй. Toutes les fleurs s’ouvraient autour d’eux et leur envoyaient de l’encens; eux, ils ouvraient leurs вmes et les rйpandaient dans les fleurs. La vйgйtation lascive et vigoureuse tressaillait pleine de sиve et d’ivresse autour de ces deux innocents, et ils disaient des paroles d’amour dont les arbres frissonnaient.
Qu’йtaient-ce que ces paroles? Des souffles. Rien de plus. Ces souffles suffisaient pour troubler et pour йmouvoir toute cette nature. Puissance magique qu’on aurait peine а comprendre si on lisait dans un livre ces causeries faites pour кtre emportйes et dissipйes comme des fumйes par le vent sous les feuilles. Фtez а ces murmures de deux amants cette mйlodie qui sort de l’вme et qui les accompagne comme une lyre, ce qui reste n’est plus qu’une ombre; vous dites: Quoi! ce n’est que cela! Eh oui, des enfantillages, des redites, des rires pour rien, des inutilitйs, des niaiseries, tout ce qu’il y a au monde de plus sublime et de plus profond! les seules choses qui vaillent la peine d’кtre dites et d’кtre йcoutйes!
Ces niaiseries-lа, ces pauvretйs-lа, l’homme qui ne les a jamais entendues, l’homme qui ne les a jamais prononcйes, est un imbйcile et un mйchant homme.
Cosette disait а Marius:
– Sais-tu?…
(Dans tout cela, et а travers cette cйleste virginitй, et sans qu’il fыt possible а l’un et а l’autre de dire comment, le tutoiement йtait venu.)
– Sais-tu? Je m’appelle Euphrasie.
– Euphrasie? Mais non, tu t’appelles Cosette.
– Oh! Cosette est un assez vilain nom qu’on m’a donnй comme cela quand j’йtais petite. Mais mon vrai nom est Euphrasie. Est-ce que tu n’aimes pas ce nom-lа, Euphrasie?
– Si… – Mais Cosette n’est pas vilain.
– Est-ce que tu l’aimes mieux qu’Euphrasie?
– Mais… – oui.
– Alors je l’aime mieux aussi. C’est vrai, c’est joli, Cosette. Appelle-moi Cosette.
Et le sourire qu’elle ajoutait faisait de ce dialogue une idylle digne d’un bois qui serait dans le ciel.
Une autre fois elle le regardait fixement et s’йcriait:
– Monsieur, vous кtes beau, vous кtes joli, vous avez de l’esprit, vous n’кtes pas bкte du tout, vous кtes bien plus savant que moi, mais je vous dйfie а ce mot-lа: je t’aime!
Et Marius, en plein azur, croyait entendre une strophe chantйe par une йtoile.
Ou bien, elle lui donnait une petite tape parce qu’il toussait, et elle lui disait:
– Ne toussez pas, monsieur. Je ne veux pas qu’on tousse chez moi sans ma permission. C’est trиs laid de tousser et de m’inquiйter. Je veux que tu te portes bien, parce que d’abord, moi, si tu ne te portais pas bien, je serais trиs malheureuse. Qu’est-ce que tu veux que je fasse?
Et cela йtait tout simplement divin.
Une fois Marius dit а Cosette:
– Figure-toi, j’ai cru un temps que tu t’appelais Ursule.
Ceci les fit rire toute la soirйe.
Au milieu d’une autre causerie, il lui arriva de s’йcrier:
– Oh! un jour, au Luxembourg, j’ai eu envie d’achever de casser un invalide[117]!
Mais il s’arrкta court et n’alla pas plus loin. Il aurait fallu parler а Cosette de sa jarretiиre, et cela lui йtait impossible. Il y avait lа un cфtoiement inconnu, la chair, devant lequel reculait, avec une sorte d’effroi sacrй, cet immense amour innocent.
Marius se figurait la vie avec Cosette comme cela, sans autre chose; venir tous les soirs rue Plumet, dйranger le vieux barreau complaisant de la grille du prйsident, s’asseoir coude а coude sur ce banc, regarder а travers les arbres la scintillation de la nuit commenзante, faire cohabiter le pli du genou de son pantalon avec l’ampleur de la robe de Cosette, lui caresser l’ongle du pouce, lui dire tu, respirer l’un aprиs l’autre la mкme fleur, а jamais, indйfiniment. Pendant ce temps-lа les nuages passaient au-dessus de leur tкte. Chaque fois que le vent souffle, il emporte plus de rкves de l’homme que de nuйes du ciel.
Que ce chaste amour presque farouche fыt absolument sans galanterie, non. «Faire des compliments» а celle qu’on aime est la premiиre faзon de faire des caresses, demi-audace qui s’essaye. Le compliment, c’est quelque chose comme le baiser а travers le voile. La voluptй y met sa douce pointe, tout en se cachant. Devant la voluptй le cњur recule, pour mieux aimer. Les cajoleries de Marius, toutes saturйes de chimиre, йtaient, pour ainsi dire, azurйes. Les oiseaux, quand ils volent lа-haut du cфtй des anges, doivent entendre de ces paroles-lа. Il s’y mкlait pourtant la vie, l’humanitй, toute la quantitй de positif dont Marius йtait capable. C’йtait ce qui se dit dans la grotte, prйlude de ce qui se dira dans l’alcфve; une effusion lyrique, la strophe et le sonnet mкlйs, les gentilles hyperboles du roucoulement, tous les raffinements de l’adoration arrangйs en bouquet et exhalant un subtil parfum cйleste, un ineffable gazouillement de cњur а cњur.
– Oh! murmurait Marius, que tu es belle! Je n’ose pas te regarder. C’est ce qui fait que je te contemple. Tu es une grвce. Je ne sais pas ce que j’ai. Le bas de ta robe, quand le bout de ton soulier passe, me bouleverse. Et puis quelle lueur enchantйe quand ta pensйe s’entr’ouvre! Tu parles raison йtonnamment. Il me semble par moments que tu es un songe. Parle, je t’йcoute, je t’admire. Ф Cosette! comme c’est йtrange et charmant! je suis vraiment fou. Vous кtes adorable, mademoiselle. J’йtudie tes pieds au microscope et ton вme au tйlescope.
Et Cosette rйpondait:
– Je t’aime un peu plus de tout le temps qui s’est йcoulй depuis ce matin.
Demandes et rйponses allaient comme elles pouvaient dans ce dialogue, tombant toujours d’accord, sur l’amour, comme les figurines de sureau sur le clou.
Toute la personne de Cosette йtait naпvetй, ingйnuitй, transparence, blancheur, candeur, rayon. On eыt pu dire de Cosette qu’elle йtait claire. Elle faisait а qui la voyait une sensation d’avril et de point du jour. Il y avait de la rosйe dans ses yeux. Cosette йtait une condensation de lumiиre aurorale en forme de femme.
Il йtait tout simple que Marius, l’adorant, l’admirвt. Mais la vйritй est que cette petite pensionnaire, fraоche йmoulue du couvent, causait avec une pйnйtration exquise et disait par moments toutes sortes de paroles vraies et dйlicates. Son babil йtait de la conversation. Elle ne se trompait sur rien, et voyait juste. La femme sent et parle avec le tendre instinct du cњur, cette infaillibilitй. Personne ne sait comme une femme dire des choses а la fois douces et profondes. La douceur et la profondeur, c’est lа toute la femme; c’est lа tout le ciel.
En cette pleine fйlicitй, il leur venait а chaque instant des larmes aux yeux. Une bкte а bon Dieu йcrasйe, une plume tombйe d’un nid, une branche d’aubйpine cassйe, les apitoyait, et leur extase, doucement noyйe de mйlancolie, semblait ne demander pas mieux que de pleurer. Le plus souverain symptфme de l’amour, c’est un attendrissement parfois presque insupportable.
Et, а cфtй de cela, – toutes ces contradictions sont le jeu d’йclairs de l’amour, – ils riaient volontiers, et avec une libertй ravissante, et si familiиrement qu’ils avaient parfois presque l’air de deux garзons. Cependant, l’insu mкme des cњurs ivres de chastetй, la nature inoubliable est toujours lа. Elle est lа, avec son but brutal et sublime, et, quelle que soit l’innocence des вmes, on sent, dans le tкte-а-tкte le plus pudique, l’adorable et mystйrieuse nuance qui sйpare un couple d’amants d’une paire d’amis.
Ils s’idolвtraient.
Le permanent et l’immuable subsistent. On s’aime, on se sourit, on se rit, on se fait des petites moues avec le bout des lиvres, on s’entrelace les doigts des mains, on se tutoie, et cela n’empкche pas l’йternitй. Deux amants se cachent dans le soir, dans le crйpuscule, dans l’invisible, avec les oiseaux, avec les roses, ils se fascinent l’un l’autre dans l’ombre avec leurs cњurs qu’ils mettent dans leurs yeux, ils murmurent, ils chuchotent, et pendant ce temps-lа d’immenses balancements d’astres emplissent l’infini.
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