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ÊÀÒÅÃÎÐÈÈ:






Le tour du monde en 80 jours 9 ñòðàíèöà




Passepartout, les mains dans les poches, se rendit donc vers le port Victoria, regardant les

palanquins, les brouettes à voile, encore en faveur dans le Céleste Empire, et toute cette foule de Chinois, de Japonais et d’Européens, qui se pressait dans les rues. À peu de choses près,

c’était encore Bombay, Calcutta ou Singapore, que le digne garçon retrouvait sur son

parcours. Il y a ainsi comme une traînée de villes anglaises tout autour du monde.

Passepartout arriva au port Victoria. Là, à l’embouchure de la rivière de Canton, c’était un

fourmillement de navires de toutes nations, des anglais, des français, des américains, des

hollandais, bâtiments de guerre et de commerce, des embarcations japonaises ou chinoises,

des jonques, des sempans, des tankas, et même des bateaux-fleurs qui formaient autant de

parterres flottants sur les eaux. En se promenant, Passepartout remarqua un certain nombre

d’indigènes vêtus de jaune, tous très avancés en âge. Étant entré chez un barbier chinois pour se faire raser «à la chinoise», il apprit par le Figaro de l’endroit, qui parlait un assez bon anglais, que ces vieillards avaient tous quatre-vingts ans au moins, et qu’à cet âge ils avaient le privilège de porter la couleur jaune, qui est la couleur impériale. Passepartout trouva cela fort drôle, sans trop savoir pourquoi.

Sa barbe faite, il se rendit au quai d’embarquement du Carnatic, et là il aperçut Fix qui se promenait de long en large, ce dont il ne fut point étonné. Mais l’inspecteur de police laissait voir sur son visage les marques d’un vif désappointement.

«Bon! se dit Passepartout, cela va mal pour les gentlemen du Reform-Club!»

Et il accosta Fix avec son joyeux sourire, sans vouloir remarquer l’air vexé de son

compagnon.

Or, l’agent avait de bonnes raisons pour pester contre l’infernale chance qui le poursuivait.

Pas de mandat! Il était évident que le mandat courait après lui, et ne pourrait l’atteindre que s’il séjournait quelques jours en cette ville. Or, Hong-Kong étant la dernière terre anglaise du parcours, le sieur Fogg allait lui échapper définitivement, s’il ne parvenait pas à l’y retenir.

«Eh bien, monsieur Fix, êtes-vous décidé à venir avec nous jusqu’en Amérique? demanda

Passepartout.

— Oui, répondit Fix les dents serrées.

— Allons donc! s’écria Passepartout en faisant entendre un retentissant éclat de rire! Je

savais bien que vous ne pourriez pas vous séparer de nous. Venez retenir votre place,

venez!»

Et tous deux entrèrent au bureau des transports maritimes et arrêtèrent des cabines pour quatre personnes. Mais l’employé leur fit observer que les réparations du Carnatic étant terminées, le paquebot partirait le soir même à huit heures, et non le lendemain matin, comme il avait été

annoncé.

«Très bien! répondit Passepartout, cela arrangera mon maître. Je vais le prévenir.»

À ce moment, Fix prit un parti extrême. Il résolut de tout dire à Passepartout. C’était le seul moyen peut-être qu’il eût de retenir Phileas Fogg pendant quelques jours à Hong-Kong.

En quittant le bureau, Fix offrit à son compagnon de se rafraîchir dans une taverne.

Passepartout avait le temps. Il accepta l’invitation de Fix.

Une taverne s’ouvrait sur le quai. Elle avait un aspect engageant. Tous deux y entrèrent.

C’était une vaste salle bien décorée, au fond de laquelle s’étendait un lit de camp, garni de coussins. Sur ce lit étaient rangés un certain nombre de dormeurs.

Une trentaine de consommateurs occupaient dans la grande salle de petites tables en jonc

tressé. Quelques uns vidaient des pintes de bière anglaise, ale ou porter, d’autres, des brocs de liqueurs alcooliques, gin ou brandy. En outre, la plupart fumaient de longues pipes de terre

rouge, bourrées de petites boulettes d’opium mélangé d’essence de rose. Puis, de temps en

temps, quelque fumeur énervé glissait sous la table, et les garçons de l’établissement, le

prenant par les pieds et par la tête, le portaient sur le lit de camp près d’un confrère. Une vingtaine de ces ivrognes étaient ainsi rangés côte à côte, dans le dernier degré

d’abrutissement.

Fix et Passepartout comprirent qu’ils étaient entrés dans une tabagie hantée de ces misérables, hébétés, amaigris, idiots, auxquels la mercantile Angleterre vend annuellement pour deux cent soixante millions de francs de cette funeste drogue qui s’appelle l’opium! Tristes millions

que ceux-là, prélevés sur un des plus funestes vices de la nature humaine.

Le gouvernement chinois a bien essayé de remédier à un tel abus par des lois sévères, mais en vain. De la classe riche, à laquelle l’usage de l’opium était d’abord formellement réservé, cet usage descendit jusqu’aux classes inférieures, et les ravages ne purent plus être arrêtés. On fume l’opium partout et toujours dans l’empire du Milieu. Hommes et femmes s’adonnent à

cette passion déplorable, et lorsqu’ils sont accoutumés à cette inhalation, ils ne peuvent plus s’en passer, à moins d’éprouver d’horribles contractions de l’estomac. Un grand fumeur peut

fumer jusqu’à huit pipes par jour mais il meurt en cinq ans.

Or, c’était dans une des nombreuses tabagies de ce genre, qui pullulent, même à Hong-Kong,

que Fix et Passepartout étaient entrés avec l’intention de se rafraîchir. Passepartout n’avait pas d’argent, mais il accepta volontiers la «politesse» de son compagnon, quitte à la lui rendre en temps et lieu.

On demanda deux bouteilles de porto, auxquelles le Français fit largement honneur, tandis

que Fix, plus réservé, observait son compagnon avec une extrême attention. On causa de

choses et d’autres, et surtout de cette excellente idée qu’avait eue Fix de prendre passage sur le Carnatic. Et à propos de ce steamer, dont le départ se trouvait avancé de quelques heures, Passepartout, les bouteilles étant vides, se leva, afin d’aller prévenir son maître.

Fix le retint.

«Un instant, dit-il.

— Que voulez-vous, monsieur Fix?

— J’ai à vous parler de choses sérieuses.

— De choses sérieuses! s’écria Passepartout en vidant quelques gouttes de vin restées au

fond au son verre. Eh bien, nous en parlerons demain. Je n’ai pas le temps aujourd’hui.

— Restez, répondit Fix. Il s’agit de votre maître!»

Passepartout, à ce mot, regarda attentivement son interlocuteur.

L’expression du visage de Fix lui parut singulière. Il se rassit.

«Qu’est-ce donc que vous avez à me dire» demanda-t-il.

Fix appuya sa main sur le bras de son compagnon et, baissant la voix:

«Vous avez deviné qui j’étais? lui demanda-t-il.

— Parbleu! dit Passepartout en souriant.

— Alors je vais tout vous avouer...

— Maintenant que je sais tout, mon compère! Ah! voilà qui n’est pas fort! Enfin, allez

toujours. Mais auparavant, laissez-moi vous dire que ces gentlemen se sont mis en frais bien

inutilement!

— Inutilement! dit Fix. Vous en parlez à votre aise! On voit bien que vous ne connaissez pas l’importance de la somme!

— Mais si, je la connais, répondit Passepartout. Vingt mille livres!

— Cinquante-cinq mille! reprit Fix, en serrant la main du Français.

— Quoi! s’écria Passepartout, Mr. Fogg aurait osé!... Cinquante-cinq mille livres!... Eh

bien! raison de plus pour ne pas perdre un instant, ajouta-t-il en se levant de nouveau.

— Cinquante-cinq mille livres! reprit Fix, qui força Passepartout à se rasseoir, après avoir fait apporter un flacon de brandy, — et si je réussis, je gagne une prime de deux mille livres. En voulez-vous cinq cents (12,500 fr.) à la condition de m’aider?

— Vous aider? s’écria Passepartout, dont les yeux étaient démesurément ouverts.

— Oui, m’aider à retenir le sieur Fogg pendant quelques jours à Hong-Kong!

— Hein! fit Passepartout, que dites-vous là? Comment! non content de faire suivre mon

maître, de suspecter sa loyauté, ces gentlemen veulent encore lui susciter des obstacles! J’en suis honteux pour eux!

— Ah çà! que voulez-vous dire? demanda Fix.

— Je veux dire que c’est de la pure indélicatesse. Autant dépouiller Mr. Fogg, et lui prendre l’argent dans la poche!

— Eh! c’est bien à cela que nous comptons arriver!

— Mais c’est un guet-apens! s’écria Passepartout, — qui s’animait alors sous l’influence du

brandy que lui servait Fix, et qu’il buvait sans s’en apercevoir, — un guet-apens véritable!

Des gentlemen! des collègues!»

Fix commençait à ne plus comprendre.

«Des collègues! s’écria Passepartout, des membres du Reform-Club! Sachez, monsieur Fix,

que mon maître est un honnête homme, et que, quand il a fait un pari, c’est loyalement qu’il

prétend le gagner.

— Mais qui croyez-vous donc que je sois? demanda Fix, en fixant son regard sur

Passepartout.

— Parbleu! un agent des membres du Reform-Club, qui a mission de contrôler l’itinéraire de

mon maître, ce qui est singulièrement humiliant! Aussi, bien que, depuis quelque temps déjà, j’aie deviné votre qualité, je me suis bien gardé de la révéler à Mr. Fogg!

— Il ne sait rien?... demanda vivement Fix.

— Rien», répondit Passepartout en vidant encore une fois son verre.

L’inspecteur de police passa sa main sur son front. Il hésitait avant de reprendre la parole.

Que devait-il faire? L’erreur de Passepartout semblait sincère, mais elle rendait son projet plus difficile. Il était évident que ce garçon parlait avec une absolue bonne foi, et qu’il n’était point le complice de son maître, — ce que Fix aurait pu craindre.

«Eh bien, se dit-il, puisqu’il n’est pas son complice, il m’aidera.»

Le détective avait une seconde fois pris son parti. D’ailleurs, il n’avait plus le temps

d’attendre. À tout prix, il fallait arrêter Fogg à Hong-Kong.

«Ecoutez, dit Fix d’une voix brève, écoutez-moi bien. Je ne suis pas ce que vous croyez,

c’est-à-dire un agent des membres du Reform-Club...

— Bah! dit Passepartout en le regardant d’un air goguenard.

— Je suis un inspecteur de police, chargé d’une mission par l’administration métropolitaine...

— Vous... inspecteur de police!...

— Oui, et je le prouve, reprit Fix. Voici ma commission.»

Et l’agent, tirant un papier de son portefeuille, montra à son compagnon une commission

signée du directeur de la police centrale. Passepartout, abasourdi, regardait Fix, sans pouvoir articuler une parole.

«Le pari du sieur Fogg, reprit Fix, n’est qu’un prétexte dont vous êtes dupes, vous et ses

collègues du Reform-Club, car il avait intérêt à s’assurer votre inconsciente complicité.

— Mais pourquoi?... s’écria Passepartout.

— Ecoutez. Le 28 septembre dernier, un vol de cinquante-cinq mille livres a été commis à la

Banque d’Angleterre par un individu dont le signalement a pu être relevé. Or, voici ce

signalement, et c’est trait pour trait celui du sieur Fogg.

— Allons donc! s’écria Passepartout en frappant la table de son robuste poing. Mon maître

est le plus honnête homme du monde!

— Qu’en savez-vous? répondit Fix. Vous ne le connaissez même pas! Vous êtes entré à son

service le jour de son départ, et il est parti précipitamment sous un prétexte insensé, sans

malles, emportant une grosse somme en bank-notes! Et vous osez soutenir que c’est un

honnête homme!

— Oui! oui! répétait machinalement le pauvre garçon.

— Voulez-vous donc être arrêté comme son complice?»

Passepartout avait pris sa tête à deux mains. Il n’était plus reconnaissable. Il n’osait regarder l’inspecteur de police. Phileas Fogg un voleur, lui, le sauveur d’Aouda, l’homme généreux et

brave! Et pourtant que de présomptions relevées contre lui! Passepartout essayait de

repousser les soupçons qui se glissaient dans son esprit. Il ne voulait pas croire à la culpabilité de son maître.

«Enfin, que voulez-vous de moi? dit-il à l’agent de police, en se contenant par un suprême

effort.

— Voici, répondit Fix. J’ai filé le sieur Fogg jusqu’ici, mais je n’ai pas encore reçu le mandat d’arrestation, que j’ai demandé à Londres. Il faut donc que vous m’aidiez à retenir à Hong-Kong...

— Moi! que je...

— Et je partage avec vous la prime de deux mille livres promise par la Banque d’Angleterre!

— Jamais!» répondit Passepartout, qui voulut se lever et retomba, sentant sa raison et ses

forces lui échapper à la fois.

«Monsieur Fix, dit-il en balbutiant, quand bien même tout ce que vous m’avez dit serait

vrai... quand mon maître serait le voleur que vous cherchez... ce que je nie... j’ai été... je suis à son service... je l’ai vu bon et généreux... Le trahir... jamais... non, pour tout l’or du monde...

Je suis d’un village où l’on ne mange pas de ce pain-là!...

— Vous refusez?

— Je refuse.

— Mettons que je n’ai rien dit, répondit Fix, et buvons.

— Oui, buvons!»

Passepartout se sentait de plus en plus envahir par l’ivresse. Fix, comprenant qu’il fallait à tout prix le séparer de son maître, voulut l’achever. Sur la table se trouvaient quelques pipes chargées d’opium. Fix en glissa une dans la main de Passepartout, qui la prit, la porta à ses lèvres, l’alluma, respira quelques bouffées, et retomba, la tête alourdie sous l’influence du narcotique.

«Enfin, dit Fix en voyant Passepartout anéanti, le sieur Fogg ne sera pas prévenu à temps du départ du Carnatic, et s’il part, du moins partira-t-il sans ce maudit Français!»

Puis il sortit, après avoir payé la dépense.

Chapitre 20

DANS LEQUEL FIX ENTRE DIRECTEMENT EN RELATION AVEC PHILEAS FOGG.

Pendant cette scène qui allait peut-être compromettre si gravement son avenir, Mr. Fogg,

accompagnant Mrs. Aouda, se promenait dans les rues de la ville anglaise. Depuis que Mrs.

Aouda avait accepté son offre de la conduire jusqu’en Europe, il avait dû songer à tous les

détails que comporte un aussi long voyage. Qu’un Anglais comme lui fît le tour du monde un

sac à la main, passe encore; mais une femme ne pouvait entreprendre une pareille traversée

dans ces conditions. De là, nécessité d’acheter les vêtements et objets nécessaires au voyage.

Mr. Fogg s’acquitta de sa tâche avec le calme qui le caractérisait, et à toutes les excuses ou objections de la jeune veuve, confuse de tant de complaisance:

«C’est dans l’intérêt de mon voyage, c’est dans mon programme», répondait-il

invariablement.

Les acquisitions faites, Mr. Fogg et la jeune femme rentrèrent à l’hôtel et dînèrent à la table d’hôte, qui était somptueusement servie. Puis Mrs. Aouda, un peu fatiguée, remonta dans son

appartement, après avoir «à l’anglaise» serré la main de son imperturbable sauveur.

L’honorable gentleman, lui, s’absorba pendant toute la soirée dans la lecture du Times et de l’ Illustrated London News.

S’il avait été homme à s’étonner de quelque chose, c’eût été de ne point voir apparaître son

domestique à l’heure du coucher. Mais, sachant que le paquebot de Yokohama ne devait pas

quitter Hong-Kong avant le lendemain matin, il ne s’en préoccupa pas autrement. Le

lendemain, Passepartout ne vint point au coup de sonnette de Mr. Fogg.

Ce que pensa l’honorable gentleman en apprenant que son domestique n’était pas rentré à

l’hôtel nul n’aurait pu le dire. Mr. Fogg se contenta de prendre son sac, fit prévenir Mrs.

Aouda, et envoya chercher un palanquin.

Il était alors huit heures, et la pleine mer, dont le Carnatic devait profiter pour sortir des passes, était indiquée pour neuf heures et demie.

Lorsque le palanquin fut arrivé à la porte de l’hôtel, Mr. Fogg et Mrs. Aouda montèrent dans

ce confortable véhicule, et les bagages suivirent derrière sur une brouette.

Une demi-heure plus tard, les voyageurs descendaient sur le quai d’embarquement, et là Mr.

Fogg apprenait que le Carnatic était parti depuis la veille.

Mr. Fogg, qui comptait trouver, à la fois, et le paquebot et son domestique, en était réduit à se passer de l’un et de l’autre. Mais aucune marque de désappointement ne parut sur son visage,

et comme Mrs. Aouda le regardait avec inquiétude, il se contenta de répondre:

«C’est un incident, madame, rien de plus.»

En ce moment, un personnage qui l’observait avec attention s’approcha de lui. C’était

l’inspecteur Fix, qui le salua et lui dit:

«N’êtes-vous pas comme moi, monsieur, un des passagers du Rangoon, arrivé hier?

— Oui, monsieur, répondit froidement Mr. Fogg, mais je n’ai pas l’honneur...

— Pardonnez-moi, mais je croyais trouver ici votre domestique.

— Savez-vous où il est, monsieur? demanda vivement la jeune femme.

— Quoi! répondit Fix, feignant la surprise, n’est-il pas avec vous?

— Non, répondit Mrs. Aouda. Depuis hier, il n’a pas reparu. Se serait-il embarqué sans nous à bord du Carnatic?

— Sans vous, madame?... répondit l’agent. Mais, excusez ma question, vous comptiez donc

partir sur ce paquebot?

— Oui, monsieur.

— Moi aussi, madame, et vous me voyez très désappointé. Le Carnatic, ayant terminé ses réparations, a quitté Hong-Kong douze heures plus tôt sans prévenir personne, et maintenant il faudra attendre huit jours le prochain départ!»

En prononçant ces mots: «huit jours», Fix sentait son cœur bondir de joie. Huit jours! Fogg retenu huit jours à Hong-Kong! On aurait le temps de recevoir le mandat d’arrêt. Enfin, la

chance se déclarait pour le représentant de la loi.

Que l’on juge donc du coup d’assommoir qu’il reçut, quand il entendit Phileas Fogg dire de sa voix calme:

«Mais il y a d’autres navires que le Carnatic, il me semble, dans le port de Hong-Kong.»

Et Mr. Fogg, offrant son bras à Mrs. Aouda, se dirigea vers les docks à la recherche d’un

navire en partance.

Fix, abasourdi, suivait. On eût dit qu’un fil le rattachait à cet homme.

Toutefois, la chance sembla véritablement abandonner celui qu’elle avait si bien servi

jusqu’alors. Phileas Fogg, pendant trois heures, parcourut le port en tous sens, décidé, s’il le fallait, à fréter un bâtiment pour le transporter à Yokohama; mais il ne vit que des navires en chargement ou en déchargement, et qui, par conséquent, ne pouvaient appareiller. Fix se reprit à espérer.

Cependant Mr. Fogg ne se déconcertait pas, et il allait continuer ses recherches, dût-il pousser jusqu’à Macao, quand il fut accosté par un marin sur l’avant-port.

«Votre Honneur cherche un bateau? lui dit le marin en se découvrant.

— Vous avez un bateau prêt à partir demanda Mr. Fogg.

— Oui, Votre Honneur, un bateau-pilote n° 43, le meilleur de la flottille.

— Il marche bien?

— Entre huit et neuf milles, au plus près. Voulez-vous le voir?

— Oui.

— Votre Honneur sera satisfait. Il s’agit d’une promenade en mer?

— Non. D’un voyage.

— Un voyage?

— Vous chargez-vous de me conduire à Yokohama?»

Le marin, à ces mots, demeura les bras ballants, les yeux écarquillés.

«Votre Honneur veut rire? dit-il.

— Non! j’ai manqué le départ du Carnatic, et il faut que je sois le 14, au plus tard, à Yokohama, pour prendre le paquebot de San Francisco.

— Je le regrette, répondit le pilote, mais c’est impossible.

— Je vous offre cent livres (2,500 fr.) par jour, et une prime de deux cents livres si j’arrive à temps.

— C’est sérieux? demanda le pilote.

— Très sérieux», répondit Mr. Fogg.

Le pilote s’était retiré à l’écart. Il regardait la mer, évidemment combattu entre le désir de gagner une somme énorme et la crainte de s’aventurer si loin. Fix était dans des transes

mortelles.

Pendant ce temps, Mr. Fogg s’était retourné vers Mrs. Aouda.

«Vous n’aurez pas peur, madame? lui demanda-t-il.

— Avec vous, non, monsieur Fogg», répondit la jeune femme.

Le pilote s’était de nouveau avancé vers le gentleman, et tournait son chapeau entre ses mains.

«Eh bien, pilote? dit Mr. Fogg.

— Eh bien, Votre Honneur, répondit le pilote, je ne puis risquer ni mes hommes, ni moi, ni

vous-même, dans une si longue traversée sur un bateau de vingt tonneaux à peine, et à cette

époque de l’année. D’ailleurs, nous n’arriverions pas à temps, car il y a seize cent cinquante milles de Hong-Kong à Yokohama.

— Seize cents seulement, dit Mr. Fogg.

— C’est la même chose.»

Fix respira un bon coup d’air.

«Mais, ajouta le pilote, il y aurait peut-être moyen de s’arranger autrement.»

Fix ne respira plus.

«Comment? demanda Phileas Fogg.

— En allant à Nagasaki, l’extrémité sud du Japon, onze cents milles, ou seulement à Shangaï,

à huit cents milles de Hong-Kong. Dans cette dernière traversée, on ne s’éloignerait pas de la côte chinoise, ce qui serait un grand avantage, d’autant plus que les courants y portent au

nord.

— Pilote, répondit Phileas Fogg, c’est à Yokohama que je dois prendre la malle américaine, et non à Shangaï ou à Nagasaki.

— Pourquoi pas? répondit le pilote. Le paquebot de San Francisco ne part pas de Yokohama.

Il fait escale à Yokohama et à Nagasaki, mais son port de départ est Shangaï.

— Vous êtes certain de ce vous dites?

— Certain.

— Et quand le paquebot quitte-t-il Shangaï?

— Le 11, à sept heures du soir. Nous avons donc quatre jours devant nous. Quatre jours, c’est quatre-vingt-seize heures, et avec une moyenne de huit milles à l’heure, si nous sommes bien

servis, si le vent tient au sud-est, si la mer est calme, nous pouvons enlever les huit cents milles qui nous séparent de Shangaï.

— Et vous pourriez partir?...

— Dans une heure. Le temps d’acheter des vivres et d’appareiller.

— Affaire convenue... Vous êtes le patron du bateau?

— Oui, John Bunsby, patron de la Tankadère.

— Voulez-vous des arrhes?

— Si cela ne désoblige pas Votre Honneur.

— Voici deux cents livres à compte... Monsieur, ajouta Phileas Fogg en se retournant vers

Fix, si vous voulez profiter...

— Monsieur, répondit résolument Fix, j’allais vous demander cette faveur.

— Bien. Dans une demi-heure nous serons à bord.

— Mais ce pauvre garçon... dit Mrs. Aouda, que la disparition de Passepartout préoccupait

extrêmement.

— Je vais faire pour lui tout ce que je puis faire», répondit Phileas Fogg.

Et, tandis que Fix, nerveux, fiévreux, rageant, se rendait au bateau-pilote, tous deux se

dirigèrent vers les bureaux de la police de Hong-Kong. Là, Phileas Fogg donna le signalement

de Passepartout, et laissa une somme suffisante pour le rapatrier. Même formalité fut remplie chez l’agent consulaire français, et le palanquin, après avoir touché à l’hôtel, où les bagages furent pris, ramena les voyageurs à l’avant-port.

Trois heures sonnaient. Le bateau-pilote n° 43, son équipage à bord, ses vivres embarqués,

était prêt à appareiller.

C’était une charmante petite goélette de vingt tonneaux que la Tankadère, bien pincée de l’avant, très dégagée dans ses façons, très allongée dans ses lignes d’eau. On eût dit un yacht de course. Ses cuivres brillants, ses ferrures galvanisées, son pont blanc comme de l’ivoire, indiquaient que le patron John Bunsby s’entendait à la tenir en bon état. Ses deux mâts

s’inclinaient un peu sur l’arrière. Elle portait brigantine, misaine, trinquette, focs, flèches, et pouvait gréer une fortune pour le vent arrière. Elle devait merveilleusement marcher, et, de

fait, elle avait déjà gagné plusieurs prix dans les «matches» de bateaux-pilotes.

L’équipage de la Tankadère se composait du patron John Bunsby et de quatre hommes.

C’étaient de ces hardis marins qui, par tous les temps, s’aventurent à la recherche des navires, et connaissent admirablement ces mers. John Bunsby, un homme de quarante-cinq ans

environ, vigoureux, noir de hâle, le regard vif, la figure énergique, bien d’aplomb, bien à son affaire, eût inspiré confiance aux plus craintifs.

Phileas Fogg et Mrs. Aouda passèrent à bord. Fix s’y trouvait déjà. Par le capot d’arrière de la goélette, on descendait dans une chambre carrée, dont les parois s’évidaient en forme de

cadres, au dessus d’un divan circulaire. Au milieu, une table éclairée par une lampe de roulis.

C’était petit, mais propre.

«Je regrette de n’avoir pas mieux à vous offrir», dit Mr. Fogg à Fix, qui s’inclina sans

répondre.

L’inspecteur de police éprouvait comme une sorte d’humiliation à profiter ainsi des

obligeances du sieur Fogg.

«À coup sûr, pensait-il, c’est un coquin fort poli, mais c’est un coquin!»






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