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ÒÎÐ 5 ñòàòåé:

Ìåòîäè÷åñêèå ïîäõîäû ê àíàëèçó ôèíàíñîâîãî ñîñòîÿíèÿ ïðåäïðèÿòèÿ

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ÊÀÒÅÃÎÐÈÈ:






Le tour du monde en 80 jours 5 ñòðàíèöà




à-dire au-devant du soleil, les jours étaient plus courts d’autant de fois quatre minutes qu’il y avait de degrés parcourus. Ce fut inutile. Que l’entêté garçon eût compris ou non

l’observation du brigadier général, il s’obstina à ne pas avancer sa montre, qu’il maintint

invariablement à l’heure de Londres. Innocente manie, d’ailleurs, et qui ne pouvait nuire à

personne.

À huit heures du matin et à quinze milles en avant de la station de Rothal, le train s’arrêta au milieu d’une vaste clairière, bordée de quelques bungalows et de cabanes d’ouvriers. Le

conducteur du train passa devant la ligne des wagons en disant:

«Les voyageurs descendent ici.»

Phileas Fogg regarda Sir Francis Cromarty, qui parut ne rien comprendre à cette halte au

milieu d’une forêt de tamarins et de khajours.

Passepartout, non moins surpris, s’élança sur la voie et revint presque aussitôt, s’écriant:

«Monsieur, plus de chemin de fer!

— Que voulez-vous dire? demanda Sir Francis Cromarty.

— Je veux dire que le train ne continue pas!»

Le brigadier général descendit aussitôt de wagon. Phileas Fogg le suivit, sans se presser. Tous deux s’adressèrent au conducteur:

«Où sommes-nous? demanda Sir Francis Cromarty.

— Au hameau de Kholby, répondit le conducteur.

— Nous nous arrêtons ici?

— Sans doute. Le chemin de fer n’est point achevé...

— Comment! il n’est point achevé?

— Non! il y a encore un tronçon d’une cinquantaine de milles à établir entre ce point et

Allahabad, où la voie reprend.

— Les journaux ont pourtant annoncé l’ouverture complète du railway!

— Que voulez-vous, mon officier, les journaux se sont trompés.

— Et vous donnez des billets de Bombay à Calcutta! reprit Sir Francis Cromarty, qui

commençait à s’échauffer.

— Sans doute, répondit le conducteur, mais les voyageurs savent bien qu’ils doivent se faire

transporter de Kholby jusqu’à Allahabad.»

Sir Francis Cromarty était furieux. Passepartout eût volontiers assommé le conducteur, qui

n’en pouvait mais. Il n’osait regarder son maître.

«Sir Francis, dit simplement Mr. Fogg, nous allons, si vous le voulez bien, aviser au moyen

de gagner Allahabad.

— Monsieur Fogg, il s’agit ici d’un retard absolument préjudiciable à vos intérêts?

— Non, Sir Francis, cela était prévu.

— Quoi! vous saviez que la voie...

— En aucune façon, mais je savais qu’un obstacle quelconque surgirait tôt ou tard sur ma

route. Or, rien n’est compromis. J’ai deux jours d’avance à sacrifier. Il y a un steamer qui part de Calcutta pour Hong-Kong le 25 à midi. Nous ne sommes qu’au 22, et nous arriverons à

temps à Calcutta.»

Il n’y avait rien à dire à une réponse faite avec une si complète assurance.

Il n’était que trop vrai que les travaux du chemin de fer s’arrêtaient à ce point. Les journaux sont comme certaines montres qui ont la manie d’avancer, et ils avaient prématurément

annoncé l’achèvement de la ligne. La plupart des voyageurs connaissaient cette interruption

de la voie, et, en descendant du train, ils s’étaient emparés des véhicules de toutes sortes que possédait la bourgade, palkigharis à quatre roues, charrettes traînées par des zébus, sortes de bœufs à bosses, chars de voyage ressemblant à des pagodes ambulantes, palanquins, poneys,

etc. Aussi Mr. Fogg et Sir Francis Cromarty, après avoir cherché dans toute la bourgade,

revinrent-ils sans avoir rien trouvé.

«J’irai à pied», dit Phileas Fogg.

Passepartout qui rejoignait alors son maître, fit une grimace significative, en considérant ses magnifiques mais insuffisantes babouches. Fort heureusement il avait été de son côté à la

découverte, et en hésitant un peu:

«Monsieur, dit-il, je crois que j’ai trouvé un moyen de transport.

— Lequel?

— Un éléphant! Un éléphant qui appartient à un Indien logé à cent pas d’ici.

— Allons voir l’éléphant», répondit Mr. Fogg.

Cinq minutes plus tard, Phileas Fogg, Sir Francis Cromarty et Passepartout arrivaient près

d’une hutte qui attenait à un enclos fermé de hautes palissades. Dans la hutte, il y avait un Indien, et dans l’enclos, un éléphant. Sur leur demande, l’Indien introduisit Mr. Fogg et ses deux compagnons dans l’enclos.

Là, ils se trouvèrent en présence d’un animal, à demi domestiqué, que son propriétaire élevait, non pour en faire une bête de somme, mais une bête de combat. Dans ce but, il avait

commencé à modifier le caractère naturellement doux de l’animal, de façon à le conduire

graduellement à ce paroxysme de rage appelé «mutsh» dans la langue indoue, et cela, en le

nourrissant pendant trois mois de sucre et de beurre. Ce traitement peut paraître impropre à

donner un tel résultat, mais il n’en est pas moins employé avec succès par les éleveurs. Très heureusement pour Mr. Fogg, l’éléphant en question venait à peine d’être mis à ce régime, et

le «mutsh» ne s’était point encore déclaré.

Kiouni — c’était le nom de la bête — pouvait, comme tous ses congénères, fournir pendant

longtemps une marche rapide, et, à défaut d’autre monture, Phileas Fogg résolut de

l’employer.

Mais les éléphants sont chers dans l’Inde, où ils commencent à devenir rares. Les mâles, qui

seuls conviennent aux luttes des cirques, sont extrêmement recherchés. Ces animaux ne se

reproduisent que rarement, quand ils sont réduits à l’état de domesticité, de telle sorte qu’on ne peut s’en procurer que par la chasse. Aussi sont-ils l’objet de soins extrêmes, et lorsque Mr. Fogg demanda à l’Indien s’il voulait lui louer son éléphant, l’Indien refusa net.

Fogg insista et offrit de la bête un prix excessif, dix livres (250 fr.) l’heure. Refus. Vingt livres? Refus encore. Quarante livres? Refus toujours. Passepartout bondissait à chaque

surenchère. Mais l’Indien ne se laissait pas tenter.

La somme était belle, cependant. En admettant que l’éléphant employât quinze heures à se

rendre à Allahabad, c’était six cents livres (15,000 fr.) qu’il rapporterait à son propriétaire.

Phileas Fogg, sans s’animer en aucune façon, proposa alors à l’Indien de lui acheter sa bête et lui en offrit tout d’abord mille livres (25,000 fr.).

L’Indien ne voulait pas vendre! Peut-être le drôle flairait-il une magnifique affaire.

Sir Francis Cromarty prit Mr. Fogg à part et l’engagea à réfléchir avant d’aller plus loin.

Phileas Fogg répondit à son compagnon qu’il n’avait pas l’habitude d’agir sans réflexion,

qu’il s’agissait en fin de compte d’un pari de vingt mille livres, que cet éléphant lui était nécessaire, et que, dût-il le payer vingt fois sa valeur, il aurait cet éléphant.

Mr. Fogg revint trouver l’Indien, dont les petits yeux, allumés par la convoitise, laissaient bien voir que pour lui ce n’était qu’une question de prix. Phileas Fogg offrit successivement douze cents livres, puis quinze cents, puis dix-huit cents, enfin deux mille (50,000 fr.).

Passepartout, si rouge d’ordinaire, était pâle d’émotion.

À deux mille livres, l’Indien se rendit.

«Par mes babouches, s’écria Passepartout, voilà qui met à un beau prix la viande

d’éléphant!»

L’affaire conclue, il ne s’agissait plus que de trouver un guide. Ce fut plus facile. Un jeune Parsi, à la figure intelligente, offrit ses services. Mr. Fogg accepta et lui promit une forte rémunération, qui ne pouvait que doubler son intelligence.

L’éléphant fut amené et équipé sans retard. Le Parsi connaissait parfaitement le métier de

«mahout» ou cornac. Il couvrit d’une sorte de housse le dos de l’éléphant et disposa, de

chaque côté sur ses flancs, deux espèces de cacolets assez peu confortables.

Phileas Fogg paya l’Indien en bank-notes qui furent extraites du fameux sac. Il semblait

vraiment qu’on les tirât des entrailles de Passepartout. Puis Mr. Fogg offrit à Sir Francis

Cromarty de le transporter à la station d’Allahabad. Le brigadier général accepta. Un

voyageur de plus n’était pas pour fatiguer le gigantesque animal.

Des vivres furent achetées à Kholby. Sir Francis Cromarty prit place dans l’un des cacolets,

Phileas Fogg dans l’autre. Passepartout se mit à califourchon sur la housse entre son maître et le brigadier général. Le Parsi se jucha sur le cou de l’éléphant, et à neuf heures l’animal,

quittant la bourgade, s’enfonçait par le plus court dans l’épaisse forêt de lataniers.

Chapitre 12

OU PHILEAS FOGG ET SES COMPAGNONS S’AVENTURENT A TRAVERS LES FORETS DE L’INDE ET CE

QUI S’ENSUIT.

Le guide, afin d’abréger la distance à parcourir, laissa sur sa droite le tracé de la voie dont les travaux étaient en cours d’exécution. Ce tracé, très contrarié par les capricieuses ramifications des monts Vindhias, ne suivait pas le plus court chemin, que Phileas Fogg avait intérêt à

prendre. Le Parsi, très familiarisé avec les routes et sentiers du pays, prétendait gagner une vingtaine de milles en coupant à travers la forêt, et on s’en rapporta à lui.

Phileas Fogg et Sir Francis Cromarty, enfouis jusqu’au cou dans leurs cacolets, étaient fort

secoués par le trot raide de l’éléphant, auquel son mahout imprimait une allure rapide. Mais

ils enduraient la situation avec le flegme le plus britannique, causant peu d’ailleurs, et se voyant à peine l’un l’autre.

Quant à Passepartout, posté sur le dos de la bête et directement soumis aux coups et aux

contrecoups, il se gardait bien, sur une recommandation de son maître, de tenir sa langue entre ses dents, car elle eût été coupée net. Le brave garçon, tantôt lancé sur le cou de l’éléphant, tantôt rejeté sur la croupe, faisait de la voltige, comme un clown sur un tremplin. Mais il

plaisantait, il riait au milieu de ses sauts de carpe, et, de temps en temps, il tirait de son sac un morceau de sucre, que l’intelligent Kiouni prenait du bout de sa trompe, sans interrompre un

instant son trot régulier.

Après deux heures de marche, le guide arrêta l’éléphant et lui donna une heure de repos.

L’animal dévora des branchages et des arbrisseaux, après s’être d’abord désaltéré à une mare

voisine. Sir Francis Cromarty ne se plaignit pas de cette halte. Il était brisé. Mr. Fogg

paraissait être aussi dispos que s’il fût sorti de son lit.

«Mais il est donc de fer! dit le brigadier général en le regardant avec admiration.

— De fer forgé», répondit Passepartout, qui s’occupa de préparer un déjeuner sommaire.

À midi, le guide donna le signal du départ. Le pays prit bientôt un aspect très sauvage. Aux

grandes forêts succédèrent des taillis de tamarins et de palmiers nains, puis de vastes plaines arides, hérissées de maigres arbrisseaux et semées de gros blocs de syénites. Toute cette partie du haut Bundelkund, peu fréquentée des voyageurs, est habitée par une population fanatique,

endurcie dans les pratiques les plus terribles de la religion indoue. La domination des Anglais n’a pu s’établir régulièrement sur un territoire soumis à l’influence des rajahs, qu’il eût été difficile d’atteindre dans leurs inaccessibles retraites des Vindhias.

Plusieurs fois, on aperçut des bandes d’Indiens farouches, qui faisaient un geste de colère en voyant passer le rapide quadrupède. D’ailleurs, le Parsi les évitait autant que possible, les tenant pour des gens de mauvaise rencontre. On vit peu d’animaux pendant cette journée, à

peine quelques singes, qui fuyaient avec mille contorsions et grimaces dont s’amusait fort

Passepartout.

Une pensée au milieu de bien d’autres inquiétait ce garçon. Qu’est-ce que Mr. Fogg ferait de

l’éléphant, quand il serait arrivé à la station d’Allahabad? L’emmènerait-il? Impossible! Le prix du transport ajouté au prix d’acquisition en ferait un animal ruineux. Le vendrait-on, le rendrait-on à la liberté? Cette estimable bête méritait bien qu’on eût des égards pour elle. Si, par hasard, Mr. Fogg lui en faisait cadeau, à lui, Passepartout, il en serait très embarrassé.

Cela ne laissait pas de le préoccuper.

À huit heures du soir, la principale chaîne des Vindhias avait été franchie, et les voyageurs firent halte au pied du versant septentrional, dans un bungalow en ruine.

La distance parcourue pendant cette journée était d’environ vingt-cinq milles, et il en restait autant à faire pour atteindre la station d’Allahabad.

La nuit était froide. À l’intérieur du bungalow, le Parsi alluma un feu de branches sèches, dont la chaleur fut très appréciée. Le souper se composa des provisions achetées à Kholby. Les

voyageurs mangèrent en gens harassés et moulus. La conversation, qui commença par

quelques phrases entrecoupées, se termina bientôt par des ronflements sonores. Le guide

veilla près de Kiouni, qui s’endormit debout, appuyé au tronc d’un gros arbre.

Nul incident ne signala cette nuit. Quelques rugissements de guépards et de panthères

troublèrent parfois le silence, mêlés à des ricanement aigus de singes. Mais les carnassiers

s’en tinrent à des cris et ne firent aucune démonstration hostile contre les hôtes du bungalow.

Sir Francis Cromarty dormit lourdement comme un brave militaire rompu de fatigues.

Passepartout, dans un sommeil agité, recommença en rêve la culbute de la veille. quant à Mr.

Fogg, il reposa aussi paisiblement que s’il eût été dans sa tranquille maison de Saville-row.

À six heures du matin, on se remit en marche. Le guide espérait arriver à la station

d’Allahabad le soir même. De cette façon, Mr. Fogg ne perdrait qu’une partie des quarante-

huit heures économisées depuis le commencement du voyage.

On descendit les dernières rampes des Vindhias. Kiouni avait repris son allure rapide. Vers

midi, le guide tourna la bourgade de Kallenger, située sur le Cani, un des sous-affluents du

Gange. Il évitait toujours les lieux habités, se sentant plus en sûreté dans ces campagnes

désertes, qui marquent les premières dépressions du bassin du grand fleuve. La station

d’Allahabad n’était pas à douze milles dans le nord-est. On fit halte sous un bouquet de

bananiers, dont les fruits, aussi sains que le pain, «aussi succulents que la crème», disent les voyageurs, furent extrêmement appréciés.

À deux heures, le guide entra sous le couvert d’une épaisse forêt, qu’il devait traverser sur un espace de plusieurs milles. Il préférait voyager ainsi à l’abri des bois. En tout cas, il n’avait fait jusqu’alors aucune rencontre fâcheuse, et le voyage semblait devoir s’accomplir sans

accident, quand l’éléphant, donnant quelques signes d’inquiétude, s’arrêta soudain.

Il était quatre heures alors.

«Qu’y a-t-il? demanda Sir Francis Cromarty, qui releva la tête au-dessus de son cacolet.

— Je ne sais, mon officier», répondit le Parsi, en prêtant l’oreille à un murmure confus qui passais sous l’épaisse ramure.

Quelques instants après, ce murmure devint plus définissable. On eût dit un concert, encore

fort éloigné, de voix humaines et d’instruments de cuivre.

Passepartout était tout yeux, tout oreilles. Mr. Fogg attendait patiemment, sans prononcer une parole.

Le Parsi sauta à terre, attacha l’éléphant à un arbre et s’enfonça au plus épais du taillis.

Quelques minutes plus tard, il revint, disant:

«Une procession de brahmanes qui se dirige de ce côté. S’il est possible, évitons d’être vus.»

Le guide détacha l’éléphant et le conduisit dans un fourré, en recommandant aux voyageurs

de ne point mettre pied à terre. Lui-même se tint prêt à enfourcher rapidement sa monture, si la fuite devenait nécessaire. Mais il pensa que la troupe des fidèles passerait sans l’apercevoir, car l’épaisseur du feuillage le dissimulait entièrement.

Le bruit discordant des voix et des instruments se rapprochait. Des chants monotones se

mêlaient au son des tambours et des cymbales. Bientôt la tête de la procession apparut sous

les arbres, à une cinquantaine de pas du poste occupé par Mr. Fogg et ses compagnons. Ils

distinguaient aisément à travers les branches le curieux personnel de cette cérémonie

religieuse.

En première ligne s’avançaient des prêtres, coiffés de mitres et vêtus de longues robes

chamarrées. Ils étaient entourés d’hommes, de femmes, d’enfants, qui faisaient entendre une

sorte de psalmodie funèbre, interrompue à intervalles égaux par des coups de tam-tams et de

cymbales. Derrière eux, sur un char aux larges roues dont les rayons et la jante figuraient un entrelacement de serpents, apparut une statue hideuse, traînée par deux couples de zébus

richement caparaçonnés. Cette statue avait quatre bras; le corps colorié d’un rouge sombre,

les yeux hagards, les cheveux emmêlés, la langue pendante, les lèvres teintes de henné et de

bétel. À son cou s’enroulait un collier de têtes de mort, à ses flancs une ceinture de mains

coupées. Elle se tenait debout sur un géant terrassé auquel le chef manquait.

Sir Francis Cromarty reconnut cette statue.

«La déesse Kâli, murmura-t-il, la déesse de l’amour et de la mort.

— De la mort, j’y consens, mais de l’amour, jamais! dit Passepartout. La vilaine bonne

femme!»

Le Parsi lui fit signe de se taire.

Autour de la statue s’agitait, se démenait, se convulsionnait un groupe de vieux fakirs, zébrés de bandes d’ocre, couverts d’incisions cruciales qui laissaient échapper leur sang goutte à

goutte, énergumènes stupides qui, dans les grandes cérémonies indoues, se précipitent encore

sous les roues du char de Jaggernaut.

Derrière eux, quelques brahmanes, dans toute la somptuosité de leur costume oriental,

traînaient une femme qui se soutenait à peine.

Cette femme était jeune, blanche comme une Européenne. Sa tête, son cou, ses épaules, ses

oreilles, ses bras, ses mains, ses orteils étaient surchargés de bijoux, colliers, bracelets, boucles et bagues. Une tunique lamée d’or, recouverte d’une mousseline légère, dessinait les

contours de sa taille.

Derrière cette jeune femme — contraste violent pour les yeux —, des gardes armés de sabres

nus passés à leur ceinture et de longs pistolets damasquinés, portaient un cadavre sur un

palanquin.

C’était le corps d’un vieillard, revêtu de ses opulents habits de rajah, ayant, comme en sa vie, le turban brodé de perles, la robe tissue de soie et d’or, la ceinture de cachemire diamanté, et ses magnifiques armes de prince indien.

Puis des musiciens et une arrière-garde de fanatiques, dont les cris couvraient parfois

l’assourdissant fracas des instruments, fermaient le cortège.

Sir Francis Cromarty regardait toute cette pompe d’un air singulièrement attristé, et se

tournant vers le guide:

«Un sutty!» dit-il.

Le Parsi fit un signe affirmatif et mit un doigt sur ses lèvres. La longue procession se déroula lentement sous les arbres, et bientôt ses derniers rangs disparurent dans la profondeur de la forêt.

Peu à peu, les chants s’éteignirent. Il y eut encore quelques éclats de cris lointains, et enfin à tout ce tumulte succéda un profond silence.

Phileas Fogg avait entendu ce mot, prononcé par Sir Francis Cromarty, et aussitôt que la

procession eut disparu:

«Qu’est-ce qu’un sutty? demanda-t-il.

— Un sutty, monsieur Fogg, répondit le brigadier général, c’est un sacrifice humain, mais un

sacrifice volontaire. Cette femme que vous venez de voir sera brûlée demain aux premières

heures du jour.

— Ah! les gueux! s’écria Passepartout, qui ne put retenir ce cri d’indignation.

— Et ce cadavre? demanda Mr. Fogg.

— C’est celui du prince, son mari, répondit le guide, un rajah indépendant du Bundelkund.

— Comment! reprit Phileas Fogg, sans que sa voix trahît la moindre émotion, ces barbares

coutumes subsistent encore dans l’Inde, et les Anglais n’ont pu les détruire?

— Dans la plus grande partie de l’Inde, répondit Sir Francis Cromarty, ces sacrifices ne

s’accomplissent plus, mais nous n’avons aucune influence sur ces contrées sauvages, et

principalement sur ce territoire du Bundelkund. Tout le revers septentrional des Vindhias est le théâtre de meurtres et de pillages incessants.

— La malheureuse! murmurait Passepartout, brûlée vive!

— Oui, reprit le brigadier général, brûlée, et si elle ne l’était pas, vous ne sauriez croire à quelle misérable condition elle se verrait réduite par ses proches. On lui raserait les cheveux, on la nourrirait à peine de quelques poignées de riz, on la repousserait, elle serait considérée comme une créature immonde et mourrait dans quelque coin comme un chien galeux. Aussi la

perspective de cette affreuse existence pousse-t-elle souvent ces malheureuses au supplice,

bien plus que l’amour ou le fanatisme religieux. Quelquefois, cependant, le sacrifice est

réellement volontaire, et il faut l’intervention énergique du gouvernement pour l’empêcher.

Ainsi, il y a quelques années, je résidais à Bombay, quand une jeune veuve vint demander au

gouverneur l’autorisation de se brûler avec le corps de son mari. Comme vous le pensez bien,

le gouverneur refusa. Alors la veuve quitta la ville, se réfugia chez un rajah indépendant, et là elle consomma son sacrifice.»

Pendant le récit du brigadier général, le guide secouait la tête, et, quand le récit fut achevé:

«Le sacrifice qui aura lieu demain au lever du jour n’est pas volontaire, dit-il.

— Comment le savez-vous?

— C’est une histoire que tout le monde connaît dans le Bundelkund, répondit le guide.

— Cependant cette infortunée ne paraissait faire aucune résistance, fit observer Sir Francis

Cromarty.

— Cela tient à ce qu’on l’a enivrée de la fumée du chanvre et de l’opium.

— Mais où la conduit-on?

— À la pagode de Pillaji, à deux milles d’ici. Là, elle passera la nuit en attendant l’heure du sacrifice.

— Et ce sacrifice aura lieu?...

— Demain, dès la première apparition du jour.»

Après cette réponse, le guide fit sortir l’éléphant de l’épais fourré et se hissa sur le cou de l’animal. Mais au moment où il allait l’exciter par un sifflement particulier, Mr. Fogg l’arrêta, et, s’adressant à Sir Francis Cromarty:

«Si nous sauvions cette femme? dit-il.

— Sauver cette femme, monsieur Fogg!... s’écria le brigadier général.

— J’ai encore douze heures d’avance. Je puis les consacrer à cela.

— Tiens! Mais vous êtes un homme de cœur! dit Sir Francis Cromarty.

— Quelquefois, répondit simplement Phileas Fogg. quand j’ai le temps.»

Chapitre 13

DANS LEQUEL PASSEPARTOUT PROUVE UNE FOIS DE PLUS QUE LA FORTUNE SOURIT AUX

AUDACIEUX.

Le dessein était hardi, hérissé de difficultés, impraticable peut-être Mr. Fogg allait risquer sa vie, ou tout au moins sa liberté, et par conséquent la réussite de ses projets, mais il n’hésita pas. Il trouva, d’ailleurs, dans Sir Francis Cromarty, un auxiliaire décidé.

Quant à Passepartout, il était prêt, on pouvait disposer de lui. L’idée de son maître l’exaltait. Il sentait un cœur, une âme sous cette enveloppe de glace. Il se prenait à aimer Phileas Fogg.

Restait le guide. Quel parti prendrait-il dans l’affaire? Ne serait-il pas porté pour les

hindous? À défaut de son concours, il fallait au moins s’assurer sa neutralité.

Sir Francis Cromarty lui posa franchement la question.

«Mon officier, répondit le guide, je suis Parsi, et cette femme est Parsie. Disposez de moi.

— Bien, guide, répondit Mr. Fogg.

— Toutefois, sachez-le bien, reprit le Parsi, non seulement nous risquons notre vie, mais des supplices horribles, si nous sommes pris. Ainsi, voyez.

— C’est vu, répondit Mr. Fogg. Je pense que nous devrons attendre la nuit pour agir?

— Je le pense aussi», répondit le guide.

Ce brave Indou donna alors quelques détails sur la victime. C’était une Indienne d’une beauté célèbre, de race parsie, fille de riches négociants de Bombay. Elle avait reçu dans cette ville une éducation absolument anglaise, et à ses manières, à son instruction, on l’eût crue

Européenne. Elle se nommait Aouda.

Orpheline, elle fut mariée malgré elle à ce vieux rajah du Bundelkund. Trois mois après, elle devint veuve. Sachant le sort qui l’attendait, elle s’échappa, fut reprise aussitôt, et les parents du rajah, qui avaient intérêt à sa mort, la vouèrent à ce supplice auquel il ne semblait pas






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