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ÊÀÒÅÃÎÐÈÈ:






Le tour du monde en 80 jours 2 ñòðàíèöà




— et Gauthier Ralph était du nombre — se croyaient donc fondés à espérer que le voleur

n’échapperait pas.

Comme on le pense, ce fait était à l’ordre du jour à Londres et dans toute l’Angleterre. On

discutait, on se passionnait pour ou contre les probabilités du succès de la police

métropolitaine. On ne s’étonnera donc pas d’entendre les membres du Reform-Club traiter la

même question, d’autant plus que l’un des sous-gouverneurs de la Banque se trouvait parmi

eux.

L’honorable Gauthier Ralph ne voulait pas douter du résultat des recherches, estimant que la

prime offerte devrait singulièrement aiguiser le zèle et l’intelligence des agents. Mais son

collègue, Andrew Stuart, était loin de partager cette confiance. La discussion continua donc

entre les gentlemen, qui s’étaient assis à une table de whist, Stuart devant Flanagan, Fallentin devant Phileas Fogg. Pendant le jeu, les joueurs ne parlaient pas, mais entre les robbres, la conversation interrompue reprenait de plus belle.

«Je soutiens, dit Andrew Stuart, que les chances sont en faveur du voleur, qui ne peut

manquer d’être un habile homme!

— Allons donc! Répondit Ralph, il n’y a plus un seul pays dans lequel il puisse se réfugier.

— Par exemple!

— Où voulez-vous qu’il aille?

— Je n’en sais rien, répondit Andrew Stuart, mais, après tout, la terre est assez vaste.

— Elle l’était autrefois...» dit à mi-voix Phileas Fogg. Puis: «à vous de couper, monsieur,»

ajouta-t-il en présentant les cartes à Thomas Flanagan.

La discussion fut suspendue pendant le robbre. Mais bientôt Andrew Stuart la reprenait,

disant:

«Comment, autrefois! Est-ce que la terre a diminué, par hasard?

— Sans doute, répondit Gauthier Ralph. Je suis de l’avis de Mr. Fogg. La terre a diminué,

puisqu’on la parcourt maintenant dix fois plus vite qu’il y a cent ans. Et c’est ce qui, dans le cas dont nous nous occupons, rendra les recherches plus rapides.

— Et rendra plus facile aussi la fuite du voleur!

— À vous de jouer, Monsieur Stuart!» dit Phileas Fogg.

Mais l’incrédule Stuart n’était pas convaincu, et, la partie achevée:

«Il faut avouer, Monsieur Ralph, reprit-il, que vous avez trouvé là une manière plaisante de dire que la terre a diminué! Ainsi parce qu’on en fait maintenant le tour en trois mois...

— En quatre-vingts jours seulement, dit Phileas Fogg.

— En effet, messieurs, ajouta John Sullivan, quatre-vingts jours, depuis que la section entre Rothal et Allahabad a été ouverte sur le «great-indian peninsular railway», et voici le calcul établi par le Morning-Chronicle:

De Londres à Suez par le Mont-Cenis et Brindisi, railways et paquebots 7 jours.

De Suez à Bombay, paquebot

13 —

De Bombay à Calcutta, railway

3 —

De Calcutta à Hong-Kong (Chine), paquebot

13 —

De Hong-Kong à Yokohama (Japon), paquebot

6 —

De Yokohama à San-Francisco, paquebot

22 —

De San-Francisco à New-York, railroad

7 —

De New-York à Londres, paquebot et railway

9 —

Total

80 jours.

— Oui, quatre-vingts jours! S’écria Andrew Stuart, qui, par inattention, coupa une carte

maîtresse, mais non compris le mauvais temps, les vents contraires, les naufrages, les

déraillements, etc.

— Tout compris, répondit Phileas Fogg en continuant de jouer, car, cette fois, la discussion ne respectait plus le whist.

— Même si les indous ou les indiens enlèvent les rails! S’écria Andrew Stuart, s’ils arrêtent les trains, pillent les fourgons, scalpent les voyageurs!

— Tout compris,» répondit Phileas Fogg, qui, abattant son jeu, ajouta: «deux atouts

maîtres.»

Andrew Stuart, à qui c’était le tour de «faire», ramassa les cartes en disant:

«Théoriquement, vous avez raison, Monsieur Fogg, mais dans la pratique...

— Dans la pratique aussi, Monsieur Stuart.

— Je voudrais bien vous y voir.

— Il ne tient qu’à vous. Partons ensemble.

— Le ciel m’en préserve! s’écria Stuart, mais je parierais bien quatre mille livres (100,000

fr.) qu’un tel voyage, fait dans ces conditions, est impossible.

— Très-possible, au contraire, répondit Mr. Fogg.

— Et bien, faites-le donc!

— Le tour du monde en quatre-vingts jours?

— Oui.

— Je le veux bien.

— Quand?

— Tout de suite.

— C’est de la folie! s’écria Andrew Stuart, qui commençait à se vexer de l’insistance de son partenaire. Tenez! Jouons plutôt.

— Refaites alors, répondit Phileas Fogg, car il y a «mal donne.»

Andrew Stuart reprit les cartes d’une main fébrile; puis, tout à coup, les posant sur la table:

«Eh bien, oui, Monsieur Fogg, dit-il, oui, je parie quatre mille livres!...

— Mon cher Stuart, dit Fallentin, calmez-vous. Ce n’est pas sérieux.

— Quand je dis: je parie, répondit Andrew Stuart, c’est toujours sérieux.

— Soit! «dit Mr. Fogg. Puis, se tournant vers ses collègues:

«J’ai vingt mille livres (500,000 fr.) déposées chez Baring frères. Je les risquerai volontiers...

— Vingt mille livres! s’écria John Sullivan. Vingt mille livres qu’un retard imprévu peut

vous faire perdre!

— L’imprévu n’existe pas, répondit simplement Phileas Fogg.

— Mais, Monsieur Fogg, ce laps de quatre-vingts jours n’est calculé que comme un minimum

de temps!

— Un minimum bien employé suffit à tout.

— Mais pour ne pas le dépasser, il faut sauter mathématiquement des railways dans les

paquebots, et des paquebots dans les chemins de fer!

— Je sauterai mathématiquement.

— C’est une plaisanterie!

— Un bon anglais ne plaisante jamais, quand il s’agit d’une chose aussi sérieuse qu’un pari,

répondit Phileas Fogg. Je parie vingt mille livres contre qui voudra que je ferai le tour de la terre en quatre-vingts jours ou moins, soit dix-neuf cent vingt heures ou cent quinze mille

deux cents minutes. Acceptez-vous?

— Nous acceptons, répondirent Mm Stuart, Fallentin, Sullivan, Flanagan et Ralph, après

s’être entendus.

— Bien, dit Mr Fogg. Le train de Douvres part à huit heures quarante-cinq. Je le prendrai.

— Ce soir même? demanda Stuart.

— Ce soir même, répondit Phileas Fogg. Donc, ajouta-t-il en consultant un calendrier de

poche, puisque c’est aujourd’hui mercredi 2 octobre, je devrai être de retour à Londres, dans ce salon même du Reform-Club, le samedi 21 décembre, à huit heures quarante-cinq du soir,

faute de quoi les vingt mille livres déposées actuellement à mon crédit chez Baring frères

vous appartiendront de fait et de droit, messieurs. — Voici un chèque de pareille somme.»

Un procès-verbal du pari fut fait et signé sur-le-champ par les six co-intéressés. Phileas Fogg était demeuré froid. Il n’avait certainement pas parié pour gagner, et n’avait engagé ces vingt mille livres — la moitié de sa fortune — que parce qu’il prévoyait qu’il pourrait avoir à

dépenser l’autre pour mener à bien ce difficile, pour ne pas dire inexécutable projet. Quant à ses adversaires, eux, ils paraissaient émus, non pas à cause de la valeur de l’enjeu, mais parce qu’ ils se faisaient une sorte de scrupule de lutter dans ces conditions.

Sept heures sonnaient alors. On offrit à M. Fogg de suspendre le whist afin qu’il pût faire ses préparatifs de départ.

«Je suis toujours prêt!» répondit cet impassible gentleman, et donnant les cartes:

«Je retourne carreau, dit-il. à vous de jouer, Monsieur Stuart.»

Chapitre 4

DANS LEQUEL PHILEAS FOGG STUPEFIE PASSEPARTOUT, SON DOMESTIQUE.

À sept heures vingt-cinq, Phileas Fogg, après avoir gagné une vingtaine de guinées au whist,

prit congé de ses honorables collègues, et quitta le Reform-Club. À sept heures cinquante, il ouvrait la porte de sa maison et rentrait chez lui.

Passepartout, qui avait consciencieusement étudié son programme, fut assez surpris en voyant

Mr. Fogg, coupable d’inexactitude, apparaître à cette heure insolite. Suivant la notice, le

locataire de Saville-row ne devait rentrer qu’à minuit précis.

Phileas Fogg était tout d’abord monté à sa chambre, puis il appela:

«Passepartout.»

Passepartout ne répondit pas. Cet appel ne pouvait s’adresser à lui. Ce n’était pas l’heure.

«Passepartout», reprit Mr. Fogg sans élever la voix davantage.

Passepartout se montra.

«C’est la deuxième fois que je vous appelle, dit Mr. Fogg.

— Mais il n’est pas minuit, répondit Passepartout, sa montre à la main.

— Je le sais, reprit Phileas Fogg, et je ne vous fais pas de reproche. Nous partons dans dix

minutes pour Douvres et Calais.»

Une sorte de grimace s’ébaucha sur la ronde face du Français. Il était évident qu’il avait mal entendu.

«Monsieur se déplace? demanda-t-il.

— Oui, répondit Phileas Fogg. Nous allons faire le tour du monde.»

Passepartout, l’œil démesurément ouvert, la paupière et le sourcil surélevés, les bras détendus, le corps affaissé, présentait alors tous les symptômes de l’étonnement poussé jusqu’à la

stupeur.

«Le tour du monde! murmura-t-il.

— En quatre-vingts jours, répondit Mr. Fogg. Ainsi, nous n’avons pas un instant à perdre.

— Mais les malles?... dit Passepartout, qui balançait inconsciemment sa tête de droite et de gauche.

— Pas de malles. Un sac de nuit seulement. Dedans, deux chemises de laine, trois paires de

bas. Autant pour vous. Nous achèterons en route. Vous descendrez mon mackintosh et ma

couverture de voyage. Ayez de bonnes chaussures. D’ailleurs, nous marcherons peu ou pas.

Allez.»

Passepartout aurait voulu répondre. Il ne put. Il quitta la chambre de Mr. Fogg, monta dans la sienne, tomba sur une chaise, et employant une phrase assez vulgaire de son pays:

«Ah! bien se dit-il, elle est forte, celle-là! Moi qui voulais rester tranquille!...»

Et, machinalement, il fit ses préparatifs de départ. Le tour du monde en quatre-vingts jours!

Avait-il affaire à un fou? Non... C’était une plaisanterie? On allait à Douvres, bien. À Calais, soit. Après tout, cela ne pouvait notablement contrarier le brave garçon, qui, depuis cinq ans, n’avait pas foulé le sol de la patrie. Peut-être même irait-on jusqu’à Paris, et, ma foi, il

reverrait avec plaisir la grande capitale. Mais, certainement, un gentleman aussi ménager de

ses pas s’arrêterait là... Oui, sans doute, mais il n’en était pas moins vrai qu’il partait, qu’il se déplaçait, ce gentleman, si casanier jusqu’alors!

À huit heures, Passepartout avait préparé le modeste sac qui contenait sa garde-robe et celle de son maître; puis, l’esprit encore troublé, il quitta sa chambre, dont il ferma soigneusement la porte, et il rejoignit Mr. Fogg.

Mr. Fogg était prêt. Il portait sous son bras le Bradshaw’s continental railway steam transit and general guide, qui devait lui fournir toutes les indications nécessaires à son voyage. Il prit le sac des mains de Passepartout, l’ouvrit et y glissa une forte liasse de ces belles bank-notes qui ont cours dans tous les pays.

«Vous n’avez rien oublié? demanda-t-il.

— Rien, monsieur.

— Mon mackintosh et ma couverture?

— Les voici.

— Bien, prenez ce sac.»

Mr. Fogg remit le sac à Passepartout.

«Et ayez-en soin, ajouta-t-il. Il y a vingt mille livres dedans (500,000 francs).»

Le sac faillit s’échapper des mains de Passepartout, comme si les vingt mille livres eussent été en or et pesé considérablement.

Le maître et le domestique descendirent alors, et la porte de la rue fut fermée à double tour.

Une station de voitures se trouvait à l’extrémité de Saville-row. Phileas Fogg et son

domestique montèrent dans un cab, qui se dirigea rapidement vers la gare de Charing-Cross, à

laquelle aboutit un des embranchements du South-Eastern-railway.

À huit heures vingt, le cab s’arrêta devant la grille de la gare. Passepartout sauta à terre. Son maître le suivit et paya le cocher.

En ce moment, une pauvre mendiante, tenant un enfant à la main, pieds nus dans la boue,

coiffée d’un chapeau dépenaillé auquel pendait une plume lamentable, un châle en loques sur

ses haillons, s’approcha de Mr. Fogg et lui demanda l’aumône.

Mr. Fogg tira de sa poche les vingt guinées qu’il venait de gagner au whist, et, les présentant à la mendiante:

«Tenez, ma brave femme, dit-il, je suis content de vous avoir rencontrée!»

Puis il passa.

Passepartout eut comme une sensation d’humidité autour de la prunelle. Son maître avait fait

un pas dans son cœur.

Mr. Fogg et lui entrèrent aussitôt dans la grande salle de la gare. Là, Phileas Fogg donna à

Passepartout l’ordre de prendre deux billets de première classe pour Paris. Puis, se retournant, il aperçut ses cinq collègues du Reform-Club.

«Messieurs, je pars, dit-il, et les divers visas apposés sur un passeport que j’emporte à cet effet vous permettront, au retour, de contrôler mon itinéraire.

— Oh! monsieur Fogg, répondit poliment Gauthier Ralph, c’est inutile. Nous nous en

rapporterons à votre honneur de gentleman!

— Cela vaut mieux ainsi, dit Mr. Fogg.

— Vous n’oubliez pas que vous devez être revenu?... fit observer Andrew Stuart.

— Dans quatre-vingts jours, répondit Mr. Fogg, le samedi 21 décembre 1872, à huit heures

quarante-cinq minutes du soir. Au revoir, messieurs.»

À huit heures quarante, Phileas Fogg et son domestique prirent place dans le même

compartiment. À huit heures quarante-cinq, un coup de sifflet retentit, et le train se mit en marche.

La nuit était noire. Il tombait une pluie fine. Phileas Fogg, accoté dans son coin, ne parlait pas. Passepartout, encore abasourdi, pressait machinalement contre lui le sac aux bank-notes.

Mais le train n’avait pas dépassé Sydenham, que Passepartout poussait un véritable cri de

désespoir!

«Qu’avez-vous? demanda Mr. Fogg.

— Il y a... que... dans ma précipitation... mon trouble... j’ai oublié...

— Quoi?

— D’éteindre le bec de gaz de ma chambre!

— Eh bien, mon garçon, répondit froidement Mr. Fogg, il brûle à votre compte!»

Chapitre 5

DANS LEQUEL UNE NOUVELLE VALEUR APPARAIT SUR LA PLACE DE LONDRES.

Phileas Fogg, en quittant Londres, ne se doutait guère, sans doute, du grand retentissement

qu’allait provoquer son départ. La nouvelle du pari se répandit d’abord dans le Reform-Club,

et produisit une véritable émotion parmi les membres de l’honorable cercle. Puis, du club,

cette émotion passa aux journaux par la voie des reporters, et des journaux au public de

Londres et de tout le Royaume-Uni.

Cette «question du tour du monde» fut commentée, discutée, disséquée, avec autant de

passion et d’ardeur que s’il se fût agi d’une nouvelle affaire de l’ Alabama. Les uns prirent parti pour Phileas Fogg, les autres — et ils formèrent bientôt une majorité considérable — se prononcèrent contre lui. Ce tour du monde à accomplir, autrement qu’en théorie et sur le

papier, dans ce minimum de temps, avec les moyens de communication actuellement en

usage, ce n’était pas seulement impossible, c’était insensé!

Le Times, le Standard, l’ Evening Star, le Morning Chronicle, et vingt autres journaux de grande publicité, se déclarèrent contre Mr. Fogg. Seul, le Daily Telegraph le soutint dans une certaine mesure. Phileas Fogg fut généralement traité de maniaque, de fou, et ses collègues du Reform-Club furent blâmés d’avoir tenu ce pari, qui accusait un affaiblissement dans les

facultés mentales de son auteur.

Des articles extrêmement passionnés, mais logiques, parurent sur la question. On sait l’intérêt que l’on porte en Angleterre à tout ce qui touche à la géographie. Aussi n’était-il pas un

lecteur, à quelque classe qu’il appartînt, qui ne dévorât les colonnes consacrées au cas de

Phileas Fogg.

Pendant les premiers jours, quelques esprits audacieux — les femmes principalement —

furent pour lui, surtout quand l’ Illustrated London News eut publié son portrait d’après sa photographie déposée aux archives du Reform-Club. Certains gentlemen osaient dire: «Hé!

hé! pourquoi pas, après tout? On a vu des choses plus extraordinaires!» C’étaient surtout les lecteurs du Daily Telegraph. Mais on sentit bientôt que ce journal lui-même commençait à faiblir.

En effet, un long article parut le 7 octobre dans le Bulletin de la Société royale de géographie.

Il traita la question à tous les points de vue, et démontra clairement la folie de l’entreprise.

D’après cet article, tout était contre le voyageur, obstacles de l’homme, obstacles de la nature.

Pour réussir dans ce projet, il fallait admettre une concordance miraculeuse des heures de

départ et d’arrivée, concordance qui n’existait pas, qui ne pouvait pas exister. À la rigueur, et en Europe, où il s’agit de parcours d’une longueur relativement médiocre, on peut compter sur l’arrivée des trains à heure fixe; mais quand ils emploient trois jours à traverser l’Inde, sept jours à traverser les États-Unis, pouvait-on fonder sur leur exactitude les éléments d’un tel problème? Et les accidents de machine, les déraillements, les rencontres, la mauvaise saison, l’accumulation des neiges, est-ce que tout n’était pas contre Phileas Fogg? Sur les paquebots, ne se trouverait-il pas, pendant l’hiver, à la merci des coups de vent ou des brouillards? Est-il donc si rare que les meilleurs marcheurs des lignes transocéaniennes éprouvent des retards de deux ou trois jours? Or, il suffisait d’un retard, un seul, pour que la chaîne de

communications fût irréparablement brisée. Si Phileas Fogg manquait, ne fût-ce que de

quelques heures, le départ d’un paquebot, il serait forcé d’attendre le paquebot suivant, et par cela même son voyage était compromis irrévocablement.

L’article fit grand bruit. Presque tous les journaux le reproduisirent, et les actions de Phileas Fogg baissèrent singulièrement.

Pendant les premiers jours qui suivirent le départ du gentleman, d’importantes affaires

s’étaient engagées sur «l’aléa» de son entreprise. On sait ce qu’est le monde des parieurs en Angleterre, monde plus intelligent, plus relevé que celui des joueurs. Parier est dans le

tempérament anglais. Aussi, non seulement les divers membres du Reform-Club établirent-ils

des paris considérables pour ou contre Phileas Fogg, mais la masse du public entra dans le

mouvement. Phileas Fogg fut inscrit comme un cheval de course, à une sorte de studbook. On

en fit aussi une valeur de bourse, qui fut immédiatement cotée sur la place de Londres. On

demandait, on offrait du «Phileas Fogg» ferme ou à prime, et il se fit des affaires énormes.

Mais cinq jours après son départ, après l’article du Bulletin de la Société de géographie, les offres commencèrent à affluer. Le Phileas Fogg baissa. On l’offrit par paquets. Pris d’abord à cinq, puis à dix, on ne le prit plus qu’à vingt, à cinquante, à cent!

Un seul partisan lui resta. Ce fut le vieux paralytique, Lord Albermale. L’honorable

gentleman, cloué sur son fauteuil, eût donné sa fortune pour pouvoir faire le tour du monde,

même en dix ans! et il paria cinq mille livres (100,000 francs) en faveur de Phileas Fogg. Et quand, en même temps que la sottise du projet, on lui en démontrait l’inutilité, il se contentait de répondre: «Si la chose est faisable, il est bon que ce soit un Anglais qui le premier l’ait faite!»

Or, on en était là, les partisans de Phileas Fogg se raréfiaient de plus en plus; tout le monde, et non sans raison, se mettait contre lui; on ne le prenait plus qu’à cent cinquante, à deux cents contre un, quand, sept jours après son départ, un incident, complètement inattendu, fit qu’on ne le prit plus du tout.

En effet, pendant cette journée, à neuf heures du soir, le directeur de la police métropolitaine avait reçu une dépêche télégraphique ainsi conçue:

Suez à Londres.

Rowan, directeur police, administration centrale, Scotland place.

Je file voleur de Banque, Phileas Fogg. Envoyez sans retard mandat d’arrestation à Bombay

(Inde anglaise).

Fix, détective.

L’effet de cette dépêche fut immédiat. L’honorable gentleman disparut pour faire place au

voleur de bank-notes. Sa photographie, déposée au Reform-Club avec celles de tous ses

collègues, fut examinée. Elle reproduisait trait pour trait l’homme dont le signalement avait été fourni par l’enquête. On rappela ce que l’existence de Phileas Fogg avait de mystérieux,

son isolement, son départ subit, et il parut évident que ce personnage, prétextant un voyage

autour du monde et l’appuyant sur un pari insensé, n’avait eu d’autre but que de dépister les agents de la police anglaise.

Chapitre 6

DANS LEQUEL L’AGENT FIX MONTRE UNE IMPATIENCE BIEN LEGITIME.

Voici dans quelles circonstances avait été lancée cette dépêche concernant le sieur Phileas

Fogg.

Le mercredi 9 octobre, on attendait pour onze heures du matin, à Suez, le paquebot Mongolia, de la Compagnie péninsulaire et orientale, steamer en fer à hélice et à spardeck, jaugeant deux mille huit cents tonnes et possédant une force nominale de cinq cents chevaux. Le Mongolia faisait régulièrement les voyages de Brindisi à Bombay par le canal de Suez. C’était un des

plus rapides marcheurs de la Compagnie, et les vitesses réglementaires, soit dix milles à

l’heure entre Brindisi et Suez, et neuf milles cinquante-trois centièmes entre Suez et Bombay, il les avait toujours dépassées.

En attendant l’arrivée du Mongolia, deux hommes se promenaient sur le quai au milieu de la foule d’indigènes et d’étrangers qui affluent dans cette ville, naguère une bourgade, à laquelle la grande œuvre de M. de Lesseps assure un avenir considérable.

De ces deux hommes, l’un était l’agent consulaire du Royaume-Uni, établi à Suez, qui — en

dépit des fâcheux pronostics du gouvernement britannique et des sinistres prédictions de

l’ingénieur Stephenson — voyait chaque jour des navires anglais traverser ce canal, abrégeant ainsi de moitié l’ancienne route de l’Angleterre aux Indes par le cap de Bonne-Espérance.

L’autre était un petit homme maigre, de figure assez intelligente, nerveux, qui contractait avec une persistance remarquable ses muscles sourciliers. À travers ses longs cils brillait un œil très vif, mais dont il savait à volonté éteindre l’ardeur. En ce moment, il donnait certaines marques d’impatience, allant, venant, ne pouvant tenir en place.

Cet homme se nommait Fix, et c’était un de ces «détectives» ou agents de police anglais, qui avaient été envoyés dans les divers ports, après le vol commis à la Banque d’Angleterre. Ce

Fix devait surveiller avec le plus grand soin tous les voyageurs prenant la route de Suez, et si l’un d’eux lui semblait suspect, le «filer» en attendant un mandat d’arrestation.

Précisément, depuis deux jours, Fix avait reçu du directeur de la police métropolitaine le

signalement de l’auteur présumé du vol. C’était celui de ce personnage distingué et bien mis

que l’on avait observé dans la salle des paiements de la Banque.

Le détective, très alléché évidemment par la forte prime promise en cas de succès, attendait

donc avec une impatience facile à comprendre l’arrivée du Mongolia.

«Et vous dites, monsieur le consul, demanda-t-il pour la dixième fois, que ce bateau ne peut tarder?

— Non, monsieur Fix, répondit le consul. Il a été signalé hier au large de Port-Saïd, et les cent soixante kilomètres du canal ne comptent pas pour un tel marcheur. Je vous répète que le

Mongolia a toujours gagné la prime de vingt-cinq livres que le gouvernement accorde pour chaque avance de vingt-quatre heures sur les temps réglementaires.

— Ce paquebot vient directement de Brindisi? demanda Fix.

— De Brindisi même, où il a pris la malle des Indes, de Brindisi qu’il a quitté samedi à cinq heures du soir. Ainsi ayez patience, il ne peut tarder à arriver. Mais je ne sais vraiment pas comment, avec le signalement que vous avez reçu, vous pourrez reconnaître votre homme, s’il

est à bord du Mongolia.

— Monsieur le consul, répondit Fix, ces gens-là, on les sent plutôt qu’on ne les reconnaît.

C’est du flair qu’il faut avoir, et le flair est comme un sens spécial auquel concourent l’ouïe, la vue et l’odorat. J’ai arrêté dans ma vie plus d’un de ces gentlemen, et pourvu que mon

voleur soit à bord, je vous réponds qu’il ne me glissera pas entre les mains.

— Je le souhaite, monsieur Fix, car il s’agit d’un vol important.

— Un vol magnifique, répondit l’agent enthousiasmé. Cinquante-cinq mille livres! Nous

n’avons pas souvent de pareilles aubaines! Les voleurs deviennent mesquins! La race des






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