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ÊÀÒÅÃÎÐÈÈ:






Le tour du monde en 80 jours 3 ñòðàíèöà




Sheppard s’étiole! On se fait pendre maintenant pour quelques shillings!

— Monsieur Fix, répondit le consul, vous parlez d’une telle façon que je vous souhaite

vivement de réussir; mais, je vous le répète, dans les conditions où vous êtes, je crains que ce ne soit difficile. Savez-vous bien que, d’après le signalement que vous avez reçu, ce voleur

ressemble absolument à un honnête homme.

— Monsieur le consul, répondit dogmatiquement l’inspecteur de police, les grands voleurs

ressemblent toujours à d’honnêtes gens. Vous comprenez bien que ceux qui ont des figures de

coquins n’ont qu’un parti à prendre, c’est de rester probes, sans cela ils se feraient arrêter. Les physionomies honnêtes, ce sont celles-là qu’il faut dévisager surtout. Travail difficile, j’en conviens, et qui n’est plus du métier, mais de l’art.»

On voit que ledit Fix ne manquait pas d’une certaine dose d’amour-propre.

Cependant le quai s’animait peu à peu. Marins de diverses nationalités, commerçants,

courtiers, portefaix, fellahs, y affluaient. L’arrivée du paquebot était évidemment prochaine.

Le temps était assez beau, mais l’air froid, par ce vent d’est. Quelques minarets se dessinaient au-dessus de la ville sous les pâles rayons du soleil. Vers le sud, une jetée longue de deux

mille mètres s’allongeait comme un bras sur la rade de Suez. À la surface de la mer Rouge

roulaient plusieurs bateaux de pêche ou de cabotage, dont quelques-uns ont conservé dans

leurs façons l’élégant gabarit de la galère antique.

Tout en circulant au milieu de ce populaire, Fix, par une habitude de sa profession,

dévisageait les passants d’un rapide coup d’œil.

Il était alors dix heures et demie.

«Mais il n’arrivera pas, ce paquebot! s’écria-t-il en entendant sonner l’horloge du port.

— Il ne peut être éloigné, répondit le consul.

— Combien de temps stationnera-t-il à Suez? demanda Fix.

— Quatre heures. Le temps d’embarquer son charbon. De Suez à Aden, à l’extrémité de la

mer Rouge, on compte treize cent dix milles, et il faut faire provision de combustible.

— Et de Suez, ce bateau va directement à Bombay? demanda Fix.

— Directement, sans rompre charge.

— Eh bien, dit Fix, si le voleur a pris cette route et ce bateau, il doit entrer dans son plan de débarquer à Suez, afin de gagner par une autre voie les possessions hollandaises ou françaises de l’Asie. Il doit bien savoir qu’il ne serait pas en sûreté dans l’Inde, qui est une terre anglaise.

— À moins que ce ne soit un homme très fort, répondit le consul. Vous le savez, un criminel

anglais est toujours mieux caché à Londres qu’il ne le serait à l’étranger.»

Sur cette réflexion, qui donna fort à réfléchir à l’agent, le consul regagna ses bureaux, situés à peu de distance. L’inspecteur de police demeura seul, pris d’une impatience nerveuse, avec ce pressentiment assez bizarre que son voleur devait se trouver à bord du Mongolia, — et en vérité, si ce coquin avait quitté l’Angleterre avec l’intention de gagner le Nouveau Monde, la route des Indes, moins surveillée ou plus difficile à surveiller que celle de l’Atlantique, devait avoir obtenu sa préférence.

Fix ne fut pas longtemps livré à ses réflexions. De vifs coups de sifflet annoncèrent l’arrivée du paquebot. Toute la horde des portefaix et des fellahs se précipita vers le quai dans un

tumulte un peu inquiétant pour les membres et les vêtements des passagers. Une dizaine de

canots se détachèrent de la rive et allèrent au-devant du Mongolia.

Bientôt on aperçut la gigantesque coque du Mongolia, passant entre les rives du canal, et onze heures sonnaient quand le steamer vint mouiller en rade, pendant que sa vapeur fusait à grand bruit par les tuyaux d’échappement.

Les passagers étaient assez nombreux à bord. Quelques-uns restèrent sur le spardeck à

contempler le panorama pittoresque de la ville; mais la plupart débarquèrent dans les canots qui étaient venus accoster le Mongolia.

Fix examinait scrupuleusement tous ceux qui mettaient pied à terre.

En ce moment, l’un d’eux s’approcha de lui, après avoir vigoureusement repoussé les fellahs

qui l’assaillaient de leurs offres de service, et il lui demanda fort poliment s’il pouvait lui indiquer les bureaux de l’agent consulaire anglais. Et en même temps ce passager présentait

un passeport sur lequel il désirait sans doute faire apposer le visa britannique.

Fix, instinctivement, prit le passeport, et, d’un rapide coup d’œil, il en lut le signalement.

Un mouvement involontaire faillit lui échapper. La feuille trembla dans sa main. Le

signalement libellé sur le passeport était identique à celui qu’il avait reçu du directeur de la police métropolitaine.

«Ce passeport n’est pas le vôtre? dit-il au passager.

— Non, répondit celui-ci, c’est le passeport de mon maître.

— Et votre maître?

— Il est resté à bord.

— Mais, reprit l’agent, il faut qu’il se présente en personne aux bureaux du consulat afin

d’établir son identité.

— Quoi! cela est nécessaire?

— Indispensable.

— Et où sont ces bureaux?

— Là, au coin de la place, répondit l’inspecteur en indiquant une maison éloignée de deux

cents pas.

— Alors, je vais aller chercher mon maître, à qui pourtant cela ne plaira guère de se

déranger!»

Là-dessus, le passager salua Fix et retourna à bord du steamer.

Chapitre 7

QUI TEMOIGNE UNE FOIS DE PLUS DE L’INUTILITE DES PASSEPORTS EN MATIERE DE POLICE.

L’inspecteur redescendit sur le quai et se dirigea rapidement vers les bureaux du consul.

Aussitôt, et sur sa demande pressante, il fut introduit près de ce fonctionnaire.

«Monsieur le consul, lui dit-il sans autre préambule, j’ai de fortes présomptions de croire que notre homme a pris passage à bord du Mongolia

Et Fix raconta ce qui s’était passé entre ce domestique et lui à propos du passeport.

«Bien, monsieur Fix, répondit le consul, je ne serais pas fâché de voir la figure de ce coquin.

Mais peut-être ne se présentera-t-il pas à mon bureau, s’il est ce que vous supposez. Un voleur n’aime pas à laisser derrière lui des traces de son passage, et d’ailleurs la formalité des

passeports n’est plus obligatoire.

— Monsieur le consul, répondit l’agent, si c’est un homme fort comme on doit le penser, il

viendra!

— Faire viser son passeport?

— Oui. Les passeports ne servent jamais qu’à gêner les honnêtes gens et à favoriser la fuite

des coquins. Je vous affirme que celui-ci sera en règle, mais j’espère bien que vous ne le

viserez pas...

— Et pourquoi pas? Si ce passeport est régulier, répondit le consul, je n’ai pas le droit de refuser mon visa.

— Cependant, monsieur le consul, il faut bien que je retienne ici cet homme jusqu’à ce que

j’aie reçu de Londres un mandat d’arrestation.

— Ah! cela, monsieur Fix, c’est votre affaire, répondit le consul, mais moi, je ne puis...»

Le consul n’acheva pas sa phrase. En ce moment, on frappait à la porte de son cabinet, et le

garçon de bureau introduisit deux étrangers, dont l’un était précisément ce domestique qui

s’était entretenu avec le détective.

C’étaient, en effet, le maître et le serviteur. Le maître présenta son passeport, en priant

laconiquement le consul de vouloir bien y apposer son visa.

Celui-ci prit le passeport et le lut attentivement, tandis que Fix, dans un coin du cabinet,

observait ou plutôt dévorait l’étranger des yeux.

Quand le consul eut achevé sa lecture:

«Vous êtes Phileas Fogg, esquire? demanda-t-il.

— Oui, monsieur, répondit le gentleman.

— Et cet homme est votre domestique?

— Oui. Un Français nommé Passepartout.

— Vous venez de Londres?

— Oui.

— Et vous allez?

— À Bombay.

— Bien, monsieur. Vous savez que cette formalité du visa est inutile, et que nous n’exigeons

plus la présentation du passeport?

— Je le sais, monsieur, répondit Phileas Fogg, mais je désire constater par votre visa mon

passage à Suez.

— Soit, monsieur.»

Et le consul, ayant signé et daté le passeport, y apposa son cachet. Mr. Fogg acquitta les droits de visa, et, après avoir froidement salué, il sortit, suivi de son domestique.

«Eh bien? demanda l’inspecteur.

— Eh bien, répondit le consul, il a l’air d’un parfait honnête homme!

— Possible, répondit Fix, mais ce n’est point ce dont il s’agit. Trouvez-vous, monsieur le

consul, que ce flegmatique gentleman ressemble trait pour trait au voleur dont j’ai reçu le

signalement?

— J’en conviens, mais vous le savez, tous les signalements...

— J’en aurai le cœur net, répondit Fix. Le domestique me paraît être moins indéchiffrable que le maître. De plus, c’est un Français, qui ne pourra se retenir de parler. À bientôt, monsieur le consul.»

Cela dit, l’agent sortit et se mit à la recherche de Passepartout.

Cependant Mr. Fogg, en quittant la maison consulaire, s’était dirigé vers le quai. Là, il donna quelques ordres à son domestique; puis il s’embarqua dans un canot, revint à bord du

Mongolia et rentra dans sa cabine. Il prit alors son carnet, qui portait les notes suivantes:

«Quitté Londres, mercredi 2 octobre, 8 heures 45 soir.

«Arrivé à Paris, jeudi 3 octobre, 7 heures 20 matin.

«Quitté Paris, jeudi, 8 heures 40 matin.

«Arrivé par le Mont-Cenis à Turin, vendredi 4 octobre, 6 heures 35 matin.

«Quitté Turin, vendredi, 7 heures 20 matin.

«Arrivé à Brindisi, samedi 5 octobre, 4 heures soir.

«Embarqué sur le Mongolia, samedi, 5 heures soir.

«Arrivé à Suez, mercredi 9 octobre, 11 heures matin.

«Total des heures dépensées: 158 1/2, soit en jours: 6 jours 1/2.»

Mr. Fogg inscrivit ces dates sur un itinéraire disposé par colonnes, qui indiquait — depuis le 2

octobre jusqu’au 21 décembre — le mois, le quantième, le jour, les arrivées réglementaires et les arrivées effectives en chaque point principal, Paris, Brindisi, Suez, Bombay, Calcutta,

Singapore, Hong-Kong, Yokohama, San Francisco, New York, Liverpool, Londres, et qui

permettait de chiffrer le gain obtenu où la perte éprouvée à chaque endroit du parcours.

Ce méthodique itinéraire tenait ainsi compte de tout, et Mr. Fogg savait toujours s’il était en avance ou en retard.

Il inscrivit donc, ce jour-là, mercredi 9 octobre, son arrivée à Suez, qui, concordant avec

l’arrivée réglementaire, ne le constituait ni en gain ni en perte.

Puis il se fit servir à déjeuner dans sa cabine. Quant à voir la ville, il n’y pensait même pas, étant de cette race d’Anglais qui font visiter par leur domestique les pays qu’ils traversent.

Chapitre 8

DANS LEQUEL PASSEPARTOUT PARLE UN PEU PLUS PEUT-ETRE QU’IL NE CONVIENDRAIT.

Fix avait en peu d’instants rejoint sur le quai Passepartout, qui flânait et regardait, ne se croyant pas, lui, obligé à ne point voir.

«Eh bien, mon ami, lui dit Fix en l’abordant, votre passeport est-il visé?

— Ah! c’est vous, monsieur, répondit le Français. Bien obligé. Nous sommes parfaitement en

règle.

— Et vous regardez le pays?

— Oui, mais nous allons si vite qu’il me semble que je voyage en rêve. Et comme cela, nous

sommes à Suez?

— À Suez.

— En Égypte?

— En Égypte, parfaitement.

— Et en Afrique?

— En Afrique.

— En Afrique! répéta Passepartout. Je ne peux y croire. Figurez-vous, monsieur, que je

m’imaginais ne pas aller plus loin que Paris, et cette fameuse capitale, je l’ai revue tout juste de sept heures vingt du matin à huit heures quarante, entre la gare du Nord et la gare de Lyon, à travers les vitres d’un fiacre et par une pluie battante! Je le regrette! J’aurais aimé à revoir le Père-Lachaise et le Cirque des Champs-Élysées!

— Vous êtes donc bien pressé? demanda l’inspecteur de police.

— Moi, non, mais c’est mon maître. À propos, il faut que j’achète des chaussettes et des

chemises! Nous sommes partis sans malles, avec un sac de nuit seulement.

— Je vais vous conduire à un bazar où vous trouverez tout ce qu’il faut.

— Monsieur, répondit Passepartout, vous êtes vraiment d’une complaisance!...»

Et tous deux se mirent en route. Passepartout causait toujours.

«Surtout, dit-il, que je prenne bien garde de ne pas manquer le bateau!

— Vous avez le temps, répondit Fix, il n’est encore que midi!»

Passepartout tira sa grosse montre.

«Midi, dit-il. Allons donc! il est neuf heures cinquante-deux minutes!

— Votre montre retarde, répondit Fix.

— Ma montre! Une montre de famille, qui vient de mon arrière-grand-pè re! Elle ne varie

pas de cinq minutes par an. C’est un vrai chronomètre!

— Je vois ce que c’est, répondit Fix. Vous avez gardé l’heure de Londres, qui retarde de deux heures environ sur Suez. Il faut avoir soin de remettre votre montre au midi de chaque pays.

— Moi! toucher à ma montre! s’écria Passepartout, jamais!

— Eh bien, elle ne sera plus d’accord avec le soleil.

— Tant pis pour le soleil, monsieur! C’est lui qui aura tort!»

Et le brave garçon remit sa montre dans sou gousset avec un geste superbe.

Quelques instants après, Fix lui disait:

«Vous avez donc quitté Londres précipitamment?

— Je le crois bien! Mercredi dernier, à huit heures du soir, contre toutes ses habitudes, Mr.

Fogg revint de son cercle, et trois quarts d’heure après nous étions partis.

— Mais où va-t-il donc, votre maître?

— Toujours devant lui! Il fait le tour du monde!

— Le tour du monde? s’écria Fix.

— Oui, en quatre-vingts jours! Un pari, dit-il, mais, entre nous, je n’en crois rien. Cela

n’aurait pas le sens commun. Il y a autre chose.

— Ah! c’est un original, ce Mr. Fogg?

— Je le crois.

— Il est donc riche?

— Évidemment, et il emporte une jolie somme avec lui, en bank-notes toutes neuves! Et il

n’épargne pas l’argent en route! Tenez! il a promis une prime magnifique au mécanicien du

Mongolia, si nous arrivons à Bombay avec une belle avance!

— Et vous le connaissez depuis longtemps, votre maître?

— Moi! répondit Passepartout, je suis entré à son service le jour même de notre départ.»

On s’imagine aisément l’effet que ces réponses devaient produire sur l’esprit déjà surexcité de l’inspecteur de police.

Ce départ précipité de Londres, peu de temps après le vol, cette grosse somme emportée, cette hâte d’arriver en des pays lointains, ce prétexte d’un pari excentrique, tout confirmait et devait confirmer Fix dans ses idées. Il fit encore parler le Français et acquit la certitude que ce

garçon ne connaissait aucunement son maître, que celui-ci vivait isolé à Londres, qu’on le

disait riche sans savoir l’origine de sa fortune, que c’était un homme impénétrable, etc. Mais, en même temps, Fix put tenir pour certain que Phileas Fogg ne débarquait point à Suez, et

qu’il allait réellement à Bombay.

«Est-ce loin Bombay? demanda Passepartout.

— Assez loin, répondit l’agent. Il vous faut encore une dizaine de jours de mer.

— Et où prenez-vous Bombay?

— Dans l’Inde.

— En Asie?

— Naturellement.

— Diable! C’est que je vais vous dire... il y a une chose qui me tracasse... c’est mon bec!

— Quel bec?

— Mon bec de gaz que j’ai oublié d’éteindre et qui brûle à mon compte. Or, j’ai calculé que

j’en avais pour deux shillings par vingt-quatre heures, juste six pence de plus que je ne gagne, et vous comprenez que pour peu que le voyage se prolonge...»

Fix comprit-il l’affaire du gaz? C’est peu probable. Il n’écoutait plus et prenait un parti. Le Français et lui étaient arrivés au bazar. Fix laissa son compagnon y faire ses emplettes, il lui recommanda de ne pas manquer le départ du Mongolia, et il revint en toute hâte aux bureaux de l’agent consulaire.

Fix, maintenant que sa conviction était faite, avait repris tout son sang-froid.

«Monsieur, dit-il au consul, je n’ai plus aucun doute. Je tiens mon homme. Il se fait passer pour un excentrique qui veut faire le tour du monde en quatre-vingts jours.

— Alors c’est un malin, répondit le consul, et il compte revenir à Londres, après avoir dépisté toutes les polices des deux continents!

— Nous verrons bien, répondit Fix.

— Mais ne vous trompez-vous pas? demanda encore une fois le consul.

— Je ne me trompe pas.

— Alors, pourquoi ce voleur a-t-il tenu à faire constater par un visa son passage à Suez?

— Pourquoi?... je n’en sais rien, monsieur le consul, répondit le détective, mais écoutez-

moi.»

Et, en quelques mots, il rapporta les points saillants de sa conversation avec le domestique

dudit Fogg.

«En effet, dit le consul, toutes les présomptions sont contre cet homme. Et qu’allez-vous

faire?

— Lancer une dépêche à Londres avec demande instante de m’adresser un mandat

d’arrestation à Bombay, m’embarquer sur le Mongolia, filer mon voleur jusqu’aux Indes, et là, sur cette terre anglaise, l’accoster poliment, mon mandat à la main et la main sur

l’épaule.»

Ces paroles prononcées froidement, l’agent prit congé du consul et se rendit au bureau

télégraphique. De là, il lança au directeur de la police métropolitaine cette dépêche que l’on connaît.

Un quart d’heure plus tard, Fix, son léger bagage à la main, bien muni d’argent, d’ailleurs,

s’embarquait à bord du Mongolia, et bientôt le rapide steamer filait à toute vapeur sur les eaux de la mer Rouge.

Chapitre 9

OU LA MER ROUGE ET LA MER DES INDES SE MONTRENT PROPICES AUX DESSEINS DE PHILEAS

FOGG.

La distance entre Suez et Aden est exactement de treize cent dix milles, et le cahier des

charges de la Compagnie alloue à ses paquebots un laps de temps de cent trente-huit heures

pour la franchir. Le Mongolia, dont les feux étaient activement poussés, marchait de manière à devancer l’arrivée réglementaire.

La plupart des passagers embarqués à Brindisi avaient presque tous l’Inde pour destination.

Les uns se rendaient à Bombay, les autres à Calcutta, mais via Bombay, car depuis qu’un

chemin de fer traverse dans toute sa largeur la péninsule indienne, il n’est plus nécessaire de doubler la pointe de Ceylan.

Parmi ces passagers du Mongolia, on comptait divers fonctionnaires civils et des officiers de tout grade. De ceux-ci, les uns appartenaient à l’armée britannique proprement dite, les autres commandaient les troupes indigènes de cipayes, tous chèrement appointés, même à présent

que le gouvernement s’est substitué aux droits et aux charges de l’ancienne Compagnie des

Indes: sous-lieutenants à 7,000 francs, brigadiers à 60,000, généraux à 100,000.

Le traitement des fonctionnaires civils est encore plus élevé. Les simples assistants, au premier degré de la hiérarchie, ont 12,000 francs; les juges, 60,000 fr.; les présidents de cour, 250,000 fr.; les gouverneurs, 300,000 fr., et le gouverneur général, plus de 600,000 fr.

On vivait donc bien à bord du Mongolia, dans cette société de fonctionnaires, auxquels se mêlaient quelques jeunes Anglais, qui, le million en poche, allaient fonder au loin des

comptoirs de commerce. Le «purser», l’homme de confiance de la Compagnie, l’égal du

capitaine à bord, faisait somptueusement les choses. Au déjeuner du matin, au lunch de deux

heures, au dîner de cinq heures et demie, au souper de huit heures, les tables pliaient sous les plats de viande fraîche et les entremets fournis par la boucherie et les offices du paquebot. Les passagères — il y en avait quelques-unes — changeaient de toilette deux fois par jour. On

faisait de la musique, on dansait même, quand la mer le permettait.

Mais la mer Rouge est fort capricieuse et trop souvent mauvaise, comme tous ces golfes

étroits et longs. Quand le vent soufflait soit de la côte d’Asie, soit de la côte d’Afrique, le Mongolia, long fuseau à hélice, pris par le travers, roulait épouvantablement. Les dames disparaissaient alors; les pianos se taisaient; chants et danses cessaient à la fois. Et pourtant, malgré la rafale, malgré la houle, le paquebot, poussé par sa puissante machine, courait sans retard vers le détroit de Bab-el-Mandeb.

Que faisait Phileas Fogg pendant ce temps? On pourrait croire que, toujours inquiet et

anxieux, il se préoccupait des changements de vent nuisibles à la marche du navire, des

mouvements désordonnés de la houle qui risquaient d’occasionner un accident à la machine,

enfin de toutes les avaries possibles qui, en obligeant le Mongolia à relâcher dans quelque port, auraient compromis son voyage?

Aucunement, ou tout au moins, si ce gentleman songeait à ces éventualités, il n’en laissait rien paraître. C’était toujours l’homme impassible, le membre imperturbable du Reform-Club,

qu’aucun incident ou accident ne pouvait surprendre. Il ne paraissait pas plus ému que les

chronomètres du bord. On le voyait rarement sur le pont. Il s’inquiétait peu d’observer cette mer Rouge, si féconde en souvenirs, ce théâtre des premières scènes historiques de

l’humanité. Il ne venait pas reconnaître les curieuses villes semées sur ses bords, et dont la pittoresque silhouette se découpait quelquefois à l’horizon. Il ne rêvait même pas aux dangers de ce golfe Arabique, dont les anciens historiens, Strabon, Arrien, Arthémidore, Edrisi, ont

toujours parlé avec épouvante, et sur lequel les navigateurs ne se hasardaient jamais autrefois sans avoir consacré leur voyage par des sacrifices propitiatoires.

Que faisait donc cet original, emprisonné dans le Mongolia? D’abord il faisait ses quatre repas par jour, sans que jamais ni roulis ni tangage pussent détraquer une machine si

merveilleusement organisée. Puis il jouait au whist.

Oui! il avait rencontré des partenaires, aussi enragés que lui: un collecteur de taxes qui se rendait à son poste à Goa, un ministre, le révérend Décimus Smith, retournant à Bombay, et

un brigadier général de l’armée anglaise, qui rejoignait son corps à Bénarès. Ces trois

passagers avaient pour le whist la même passion que Mr. Fogg, et ils jouaient pendant des

heures entières, non moins silencieusement que lui.

Quant à Passepartout, le mal de mer n’avait aucune prise sur lui. Il occupait une cabine à

l’avant et mangeait, lui aussi, consciencieusement. Il faut dire que, décidément, ce voyage,

fait dans ces conditions, ne lui déplaisait plus. Il en prenait son parti. Bien nourri, bien logé, il voyait du pays et d’ailleurs il s’affirmait à lui-même que toute cette fantaisie finirait à

Bombay.

Le lendemain du départ de Suez, le 10 octobre, ce ne fut pas sans un certain plaisir qu’il

rencontra sur le pont l’obligeant personnage auquel il s’était adressé en débarquant en Égypte.

«Je ne me trompe pas, dit-il en l’abordant avec son plus aimable sourire, c’est bien vous,

monsieur, qui m’avez si complaisamment servi de guide à Suez?

— En effet, répondit le détective, je vous reconnais! Vous êtes le domestique de cet Anglais original...

— Précisément, monsieur...?

— Fix.

— Monsieur Fix, répondit Passepartout. Enchanté de vous retrouver à bord. Et où allez-vous

donc?

— Mais, ainsi que vous, à Bombay.

— C’est au mieux! Est-ce que vous avez déjà fait ce voyage?

— Plusieurs fois, répondit Fix. Je suis un agent de la Compagnie péninsulaire.

— Alors vous connaissez l’Inde?

— Mais... oui..., répondit Fix, qui ne voulait pas trop s’avancer.

— Et c’est curieux, cette Inde-là?

— Très curieux! Des mosquées, des minarets, des temples, des fakirs, des pagodes, des

tigres, des serpents, des bayadères! Mais il faut espérer que vous aurez le temps de visiter le pays?

— Je l’espère, monsieur Fix. Vous comprenez bien qu’il n’est pas permis à un homme sain

d’esprit de passer sa vie à sauter d’un paquebot dans un chemin de fer et d’un chemin de fer

dans un paquebot, sous prétexte de faire le tour du monde en quatre-vingts jours! Non. Toute cette gymnastique cessera à Bombay, n’en doutez pas.

— Et il se porte bien, Mr. Fogg? demanda Fix du ton le plus naturel.

— Très bien, monsieur Fix. Moi aussi, d’ailleurs. Je mange comme un ogre qui serait à jeun.

C’est l’air de la mer.

— Et votre maître, je ne le vois jamais sur le pont.

— Jamais. Il n’est pas curieux.

— Savez-vous, monsieur Passepartout, que ce prétendu voyage en quatre-vingts jours pourrait

bien cacher quelque mission secrète... une mission diplomatique, par exemple!

— Ma foi, monsieur Fix, je n’en sais rien, je vous l’avoue, et, au fond, je ne donnerais pas une demi-couronne pour le savoir.»






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