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ÊÀÒÅÃÎÐÈÈ:






Le tour du monde en 80 jours 8 ñòðàíèöà




qui connaissait la dernière partie de ces incidents, semblait les ignorer tous, et Passepartout se laissait aller au charme de narrer ses aventures devant un auditeur qui lui marquait tant

d’intérêt.

«Mais, en fin de compte, demanda Fix, est-ce que votre maître a l’intention d’emmener cette

jeune femme en Europe?

— Non pas, monsieur Fix, non pas! Nous allons tout simplement la remettre aux soins de

l’un de ses parents, riche négociant de Hong-Kong.»

«Rien à faire!» se dit le détective en dissimulant son désappointement. «Un verre de gin, monsieur Passepartout?

— Volontiers, monsieur Fix. C’est bien le moins que nous buvions à notre rencontre à bord

du Rangoon

Chapitre 17

OU IL EST QUESTION DE CHOSES ET D’AUTRES PENDANT LA TRAVERSEE DE SINGAPORE A HONG-

KONG.

Depuis ce jour, Passepartout et le détective se rencontrèrent fréquemment, mais l’agent se tint dans une extrême réserve vis-à-vis de son compagnon, et il n’essaya point de le faire parler.

Une ou deux fois seulement, il entrevit Mr. Fogg, qui restait volontiers dans le grand salon du Rangoon, soit qu’il tînt compagnie à Mrs. Aouda, soit qu’il jouât au whist, suivant son invariable habitude.

Quant à Passepartout, il s’était pris très sérieusement à méditer sur le singulier hasard qui avait mis, encore une fois, Fix sur la route de son maître. Et, en effet, on eût été étonné à moins. Ce gentleman, très aimable, très complaisant à coup sûr, que l’on rencontre d’abord à

Suez, qui s’embarque sur le Mongolia, qui débarque à Bombay, où il dit devoir séjourner, que l’on retrouve sur le Rangoon, faisant route pour Hong-Kong, en un mot, suivant pas à pas l’itinéraire de Mr. Fogg, cela valait la peine qu’on y réfléchît. Il y avait là une concordance au moins bizarre. À qui en avait ce Fix? Passepartout était prêt a parier ses babouches — il les avait précieusement conservées — que le Fix quitterait Hong-Kong en même temps qu’eux, et

probablement sur le même paquebot.

Passepartout eût réfléchi pendant un siècle, qu’il n’aurait jamais deviné de quelle mission

l’agent avait été chargé. Jamais il n’eût imaginé que Phileas Fogg fût «filé», à la façon d’un voleur, autour du globe terrestre. Mais comme il est dans la nature humaine de donner une

explication à toute chose, voici comment Passepartout, soudainement illuminé, interpréta la

présence permanente de Fix, et, vraiment, son interprétation était fort plausible. En effet,

suivant lui, Fix n’était et ne pouvait être qu’un agent lancé sur les traces de Mr. Fogg par ses collègues du Reform-Club, afin de constater que ce voyage s’accomplissait régulièrement

autour du monde, suivant l’itinéraire convenu.

«C’est évident! c’est évident! se répétait l’honnête garçon, tout fier de sa perspicacité. C’est un espion que ces gentlemen ont mis à nos trousses! Voilà qui n’est pas digne! Mr. Fogg si

probe, si honorable! Le faire épier par un agent! Ah! messieurs du Reform-Club, cela vous

coûtera cher!»

Passepartout, enchanté de sa découverte, résolut cependant de n’en rien dire à son maître,

craignant que celui-ci ne fût justement blessé de cette défiance que lui montraient ses

adversaires. Mais il se promit bien de gouailler Fix à l’occasion, à mots couverts et sans se compromettre.

Le mercredi 30 octobre, dans l’après-midi, le Rangoon embouquait le détroit de Malacca, qui sépare la presqu’île de ce nom des terres de Sumatra. Des îlots montagneux très escarpés, très pittoresques dérobaient aux passagers la vue de la grande île.

Le lendemain, à quatre heures du matin, le Rangoon, ayant gagné une demi-journée sur sa traversée réglementaire, relâchait à Singapore, afin d’y renouveler sa provision de charbon.

Phileas Fogg inscrivit cette avance à la colonne des gains, et, cette fois, il descendit à terre, accompagnant Mrs. Aouda, qui avait manifesté le désir de se promener pendant quelques

heures.

Fix, à qui toute action de Fogg paraissait suspecte, le suivit sans se laisser apercevoir. Quant à Passepartout, qui riait in petto à voir la manœuvre de Fix, il alla faire ses emplettes ordinaires.

L’île de Singapore n’est ni grande ni imposante l’aspect. Les montagnes, c’est-à-dire les

profils, lui manquent. Toutefois, elle est charmante dans sa maigreur. C’est un parc coupé de belles routes. Un joli équipage, attelé de ces chevaux élégants qui ont été importés de la

Nouvelle-Hollande, transporta Mrs. Aouda et Phileas Fogg au milieu des massifs de palmiers

à l’éclatant feuillage, et de girofliers dont les clous sont formés du bouton même de la fleur entrouverte. Là, les buissons de poivriers remplaçaient les haies épineuses des campagnes

européennes; des sagoutiers, de grandes fougères avec leur ramure superbe, variaient l’aspect de cette région tropicale; des muscadiers au feuillage verni saturaient l’air d’un parfum

pénétrant. Les singes, bandes alertes et grimaçantes, ne manquaient pas dans les bois, ni peut-

être les tigres dans les jungles. À qui s’étonnerait d’apprendre que dans cette île, si petite relativement, ces terribles carnassiers ne fussent pas détruits jusqu’au dernier, on répondra qu’ils viennent de Malacca, en traversant le détroit à la nage.

Après avoir parcouru la campagne pendant deux heures, Mrs. Aouda et son compagnon —

qui regardait un peu sans voir — rentrèrent dans la ville, vaste agglomération de maisons

lourdes et écrasées, qu’entourent de charmants jardins où poussent des mangoustes, des

ananas et tous les meilleurs fruits du monde.

À dix heures, ils revenaient au paquebot, après avoir été suivis, sans s’en douter, par

l’inspecteur, qui avait dû lui aussi se mettre en frais d’équipage.

Passepartout les attendait sur le pont du Rangoon. Le brave garçon avait acheté quelques douzaines de mangoustes, grosses comme des pommes moyennes, d’un brun foncé au-dehors,

d’un rouge éclatant au-dedans, et dont le fruit blanc, en fondant entre les lèvres, procure aux vrais gourmets une jouissance sans pareille. Passepartout fut trop heureux de les offrir à Mrs.

Aouda, qui le remercia avec beaucoup de grâce.

À onze heures, le Rangoon, ayant son plein de charbon, larguait ses amarres, et, quelques heures plus tard, les passagers perdaient de vue ces hautes montagnes de Malacca, dont les

forêts abritent les plus beaux tigres de la terre.

Treize cents milles environ séparent Singapore de l’île de Hong-Kong, petit territoire anglais détaché de la côte chinoise. Phileas Fogg avait intérêt à les franchir en six jours au plus, afin de prendre à Hong-Kong le bateau qui devait partir le 6 novembre pour Yokohama, l’un des

principaux ports du Japon.

Le Rangoon était fort chargé. De nombreux passagers s’étaient embarqués à Singapore, des Indous, des Ceylandais, des Chinois, des Malais, des Portugais, qui, pour la plupart,

occupaient les secondes places.

Le temps, assez beau jusqu’alors, changea avec le dernier quartier de la lune. Il y eut grosse mer. Le vent souffla quelquefois en grande brise, mais très heureusement de la partie du sud-est, ce qui favorisait la marche du steamer. Quand il était maniable, le capitaine faisait établir la voilure. Le Rangoon, gréé en brick, navigua souvent avec ses deux huniers et sa misaine, et sa rapidité s’accrut sous la double action de la vapeur et du vent. C’est ainsi que l’on

prolongea, sur une lame courte et parfois très fatigante, les côtes d’Annam et de Cochinchine.

Mais la faute en était plutôt au Rangoon qu’à la mer, et c’est à ce paquebot que les passagers, dont la plupart furent malades, durent s’en prendre de cette fatigue.

En effet, les navires de la Compagnie péninsulaire, qui font le service des mers de Chine, ont un sérieux défaut de construction. Le rapport de leur tirant d’eau en charge avec leur creux a été mal calculé, et, par suite, ils n’offrent qu’une faible résistance à la mer. Leur volume, clos, impénétrable à l’eau, est insuffisant. Ils sont «noyés», pour employer l’expression maritime, et, en conséquence de cette disposition, il ne faut que quelques paquets de mer, jetés à bord, pour modifier leur allure. Ces navires sont donc très inférieurs — sinon par le moteur et

l’appareil évaporatoire, du moins par la construction, — aux types des Messageries françaises, tels que l’ Impératrice et le Cambodge. Tandis que, suivant les calculs des ingénieurs, ceux-ci peuvent embarquer un poids d’eau égal à leur propre poids avant de sombrer, les bateaux de la Compagnie péninsulaire, le Golgonda, le Corea, et enfin le Rangoon, ne pourraient pas embarquer le sixième de leur poids sans couler par le fond.

Donc, par le mauvais temps, il convenait de prendre de grandes précautions. Il fallait

quelquefois mettre à la cape sous petite vapeur. C’était une perte de temps qui ne paraissait affecter Phileas Fogg en aucune façon, mais dont Passepartout se montrait extrêmement irrité.

Il accusait alors le capitaine, le mécanicien, la Compagnie, et envoyait au diable tous ceux qui se mêlent de transporter des voyageurs. Peut-être aussi la pensée de ce bec de gaz qui

continuait de brûler à son compte dans la maison de Saville-row entrait-elle pour beaucoup

dans son impatience.

«Mais vous êtes donc bien pressé d’arriver à Hong-Kong? lui demanda un jour le détective.

— Très pressé! répondit Passepartout.

— Vous pensez que Mr. Fogg a hâte de prendre le paquebot de Yokohama?

— Une hâte effroyable.

— Vous croyez donc maintenant à ce singulier voyage autour du monde?

— Absolument. Et vous, monsieur Fix?

— Moi? je n’y crois pas!

— Farceur!» répondit Passepartout en clignant de l’œil.

Ce mot laissa l’agent rêveur. Ce qualificatif l’inquiéta, sans qu’il sût trop pourquoi. Le

Français l’avait-il deviné? Il ne savait trop que penser. Mais sa qualité de détective, dont seul il avait le secret, comment Passepartout aurait-il pu la reconnaître? Et cependant, en lui

parlant ainsi, Passepartout avait certainement eu une arrière-pensée.

Il arriva même que le brave garçon alla plus loin, un autre jour, mais c’était plus fort que lui.

Il ne pouvait tenir sa langue.

«Voyons, monsieur Fix, demanda-t-il à son compagnon d’un ton malicieux, est-ce que, une

fois arrivés à Hong-Kong, nous aurons le malheur de vous y laisser?

— Mais, répondit Fix assez embarrassé, je ne sais!... Peut-être que...

— Ah! dit Passepartout, si vous nous accompagniez, ce serait un bonheur pour moi!

Voyons! un agent de la Compagnie péninsulaire ne saurait s’arrêter en route! Vous n’alliez

qu’à Bombay, et vous voici bientôt en Chine! L’Amérique n’est pas loin, et de l’Amérique à

l’Europe il n’y a qu’un pas!»

Fix regardait attentivement son interlocuteur, qui lui montrait la figure la plus aimable du

monde, et il prit le parti de rire avec lui. Mais celui-ci, qui était en veine, lui demanda si «ça lui rapportait beaucoup, ce métier-là?»

«Oui et non, répondit Fix sans sourciller. Il y a de bonnes et de mauvaises affaires. Mais vous comprenez bien que je ne voyage pas à mes frais!

— Oh! pour cela, j’en suis sûr!» s’écria Passepartout, riant de plus belle.

La conversation finie, Fix rentra dans sa cabine et se mit à réfléchir. Il était évidemment

deviné. D’une façon ou d’une autre, le Français avait reconnu sa qualité de détective. Mais

avait-il prévenu son maître? Quel rôle jouait-il dans tout ceci? Était-il complice ou non?

L’affaire était-elle éventée, et par conséquent manquée? L’agent passa là quelques heures

difficiles, tantôt croyant tout perdu, tantôt espérant que Fogg ignorait la situation, enfin ne sachant quel parti prendre.

Cependant le calme se rétablit dans son cerveau, et il résolut d’agir franchement avec

Passepartout. S’il ne se trouvait pas dans les conditions voulues pour arrêter Fogg à Hong-

Kong, et si Fogg se préparait à quitter définitivement cette fois le territoire anglais, lui, Fix, dirait tout à Passepartout. Ou le domestique était le complice de son maître — et celui-ci

savait tout, et dans ce cas l’affaire était définitivement compromise — ou le domestique

n’était pour rien dans le vol, et alors son intérêt serait d’abandonner le voleur.

Telle était donc la situation respective de ces deux hommes, et au-dessus d’eux Phileas Fogg

planait dans sa majestueuse indifférence. Il accomplissait rationnellement son orbite autour du monde, sans s’inquiéter des astéroïdes qui gravitaient autour de lui.

Et cependant, dans le voisinage, il y avait — suivant l’expression des astronomes — un astre

troublant qui aurait dû produire certaines perturbations sur le cœur de ce gentleman. Mais

non! Le charme de Mrs. Aouda n’agissait point, à la grande surprise de Passepartout, et les

perturbations, si elles existaient, eussent été plus difficiles à calculer que celles d’Uranus qui l’ont amené la découverte de Neptune.

Oui! c’était un étonnement de tous les jours pour Passepartout, qui lisait tant de

reconnaissance envers son maître dans les yeux de la jeune femme! Décidément Phileas Fogg

n’avait de cœur que ce qu’il en fallait pour se conduire héroïquement, mais amoureusement,

non! Quant aux préoccupations que les chances de ce voyage pouvaient faire naître en lui, il n’y en avait pas trace. Mais Passepartout, lui, vivait dans des transes continuelles. Un jour, appuyé sur la rambarde de l’«engine-room», il regardait la puissante machine qui s’emportait parfois, quand dans un violent mouvement de tangage, l’hélice s’affolait hors des flots. La

vapeur fusait alors par les soupapes, ce qui provoqua la colère du digne garçon.

«Elles ne sont pas assez chargées, ces soupapes! s’écria-t-il. On ne marche pas! Voilà bien ces Anglais! Ah! si c’était un navire américain, on sauterait peut-être, mais on irait plus vite!»

Chapitre 18

DANS LEQUEL PHILEAS FOGG, PASSEPARTOUT, FIX, CHACUN DE SON COTE, VA A SES AFFAIRES.

Pendant les derniers jours de la traversée, le temps fut assez mauvais. Le vent devint très fort.

Fixé dans la partie du nord-ouest, il contraria la marche du paquebot. Le Rangoon, trop instable, roula considérablement, et les passagers furent en droit de garder rancune à ces

longues lames affadissantes que le vent soulevait du large.

Pendant les journées du 3 et du 4 novembre, ce fut une sorte de tempête. La bourrasque battit la mer avec véhémence. Le Rangoon dut mettre à la cape pendant un demi-jour, se maintenant avec dix tours d’hélice seulement, de manière à biaiser avec les lames. Toutes les voiles

avaient été serrées, et c’était encore trop de ces agrès qui sifflaient au milieu des rafales.

La vitesse du paquebot, on le conçoit, fut notablement diminuée, et l’on put estimer qu’il

arriverait à Hong-Kong avec vingt heures de retard sur l’heure réglementaire, et plus même, si la tempête ne cessait pas.

Phileas Fogg assistait à ce spectacle d’une mer furieuse, qui semblait lutter directement contre lui, avec son habituelle impassibilité. Son front ne s’assombrit pas un instant, et, cependant, un retard de vingt heures pouvait compromettre son voyage en lui faisant manquer le départ

du paquebot de Yokohama. Mais cet homme sans nerfs ne ressentait ni impatience ni ennui. Il

semblait vraiment que cette tempête rentrât dans son programme, qu’elle fût prévue. Mrs.

Aouda, qui s’entretint avec son compagnon de ce contretemps, le trouva aussi calme que par

le passé.

Fix, lui, ne voyait pas ces choses du même œil. Bien au contraire. Cette tempête lui plaisait.

Sa satisfaction aurait même été sans bornes, si le Rangoon eût été obligé de fuir devant la tourmente. Tous ces retards lui allaient, car ils obligeraient le sieur Fogg à rester quelques jours à Hong-Kong. Enfin, le ciel, avec ses rafales et ses bourrasques, entrait dans son jeu. Il était bien un peu malade, mais qu’importe! Il ne comptait pas ses nausées, et, quand son

corps se tordait sous le mal de mer, son esprit s’ébaudissait d’une immense satisfaction.

Quant à Passepartout, on devine dans quelle colère peu dissimulée il passa ce temps

d’épreuve. Jusqu’alors tout avait si bien marché! La terre et l’eau semblaient être à la

dévotion de son maître. Steamers et railways lui obéissaient. Le vent et la vapeur s’unissaient pour favoriser son voyage. L’heure des mécomptes avait-elle donc enfin sonné? Passepartout,

comme si les vingt mille livres du pari eussent dû sortir de sa bourse, ne vivait plus. Cette tempête l’exaspérait, cette rafale le mettait en fureur, et il eût volontiers fouetté cette mer désobéissante! Pauvre garçon! Fix lui cacha soigneusement sa satisfaction personnelle, et il fit bien, car si Passepartout eût deviné le secret contentement de Fix, Fix eût passé un mauvais quart d’heure.

Passepartout, pendant toute la durée de la bourrasque, demeura sur le pont du Rangoon. Il n’aurait pu rester en bas; il grimpait dans la mâture; il étonnait l’équipage et aidait à tout avec une adresse de singe. Cent fois il interrogea le capitaine, les officiers, les matelots, qui ne pouvaient s’empêcher de rire en voyant un garçon si décontenancé. Passepartout voulait

absolument savoir combien de temps durerait la tempête. On le renvoyait alors au baromètre,

qui ne se décidait pas à remonter. Passepartout secouait le baromètre, mais rien n’y faisait, ni les secousses, ni les injures dont il accablait l’irresponsable instrument.

Enfin la tourmente s’apaisa. L’état de la mer se modifia dans la journée du 4 novembre. Le

vent sauta de deux quarts dans le sud et redevint favorable.

Passepartout se rasséréna avec le temps. Les huniers et les basses voiles purent être établis, et le Rangoon reprit sa route avec une merveilleuse vitesse.

Mais on ne pouvait regagner tout le temps perdu. Il fallait bien en prendre son parti, et la terre ne fut signalée que le 6, à cinq heures du matin. L’itinéraire de Phileas Fogg portait l’arrivée du paquebot au 5. Or, il n’arrivait que le 6. C’était donc vingt-quatre heures de retard, et le départ pour Yokohama serait nécessairement manqué.

À six heures, le pilote monta à bord du Rangoon et prit place sur la passerelle, afin de diriger le navire à travers les passes jusqu’au port de Hong-Kong.

Passepartout mourait du désir d’interroger cet homme, de lui demander si le paquebot de

Yokohama avait quitté Hong-Kong. Mais il n’osait pas, aimant mieux conserver un peu

d’espoir jusqu’au dernier instant. Il avait confié ses inquiétudes à Fix, qui — le fin renard —

essayait de le consoler, en lui disant que Mr. Fogg en serait quitte pour prendre le prochain paquebot. Ce qui mettait Passepartout dans une colère bleue.

Mais si Passepartout ne se hasarda pas à interroger le pilote, Mr. Fogg, après avoir consulté son Bradshaw, demanda de son air tranquille audit pilote s’il savait quand il partirait un

bateau de Hong-Kong pour Yokohama.

«Demain, à la marée du matin, répondit le pilote.

— Ah!» fit Mr. Fogg, sans manifester aucun étonnement.

Passepartout, qui était présent, eût volontiers embrassé le pilote, auquel Fix aurait voulu

tordre le cou.

«Quel est le nom de ce steamer? demanda Mr. Fogg.

— Le Carnatic, répondit le pilote.

— N’était-ce pas hier qu’il devait partir?

— Oui, monsieur, mais on a dû réparer une de ses chaudières, et son départ a été remis à

demain.

— Je vous remercie», répondit Mr. Fogg, qui de son pas automatique redescendit dans le

salon du Rangoon.

Quant à Passepartout, il saisit la main du pilote et l’étreignit vigoureusement en disant:

«Vous, pilote, vous êtes un brave homme!»

Le pilote ne sut jamais, sans doute, pourquoi ses réponses lui valurent cette amicale

expansion. À un coup de sifflet, il remonta sur la passerelle et dirigea le paquebot au milieu de cette flottille de jonques, de tankas, de bateaux-pêcheurs, de navires de toutes sortes, qui

encombraient les pertuis de Hong-Kong.

À une heure, le Rangoon était à quai, et les passagers débarquaient.

En cette circonstance, le hasard avait singulièrement servi Phileas Fogg, il faut en convenir.

Sans cette nécessité de réparer ses chaudières, le Carnatic fût parti à la date du 5 novembre, et les voyageurs pour le Japon auraient dû attendre pendant huit jours le départ du paquebot

suivant. Mr. Fogg, il est vrai, était en retard de vingt-quatre heures, mais ce retard ne pouvait avoir de conséquences fâcheuses pour le reste du voyage.

En effet, le steamer qui fait de Yokohama à San Francisco la traversée du Pacifique était en

correspondance directe avec le paquebot de Hong-Kong, et il ne pouvait partir avant que

celui-ci fût arrivé. Évidemment il y aurait vingt-quatre heures de retard à Yokohama, mais,

pendant les vingt-deux jours que dure la traversée du Pacifique, il serait facile de les regagner.

Phileas Fogg se trouvait donc, à vingt-quatre heures près, dans les conditions de son

programme, trente-cinq jours après avoir quitté Londres.

Le Carnatic ne devant partir que le lendemain matin à cinq heures, Mr. Fogg avait devant lui seize heures pour s’occuper de ses affaires, c’est-à-dire de celles qui concernaient Mrs.

Aouda. Au débarqué du bateau, il offrit son bras à la jeune femme et la conduisit vers un

palanquin. Il demanda aux porteurs de lui indiquer un hôtel, et ceux-ci lui désignèrent l’ Hôtel du Club. Le palanquin se mit en route, suivi de Passepartout, et vingt minutes après il arrivait à destination.

Un appartement fut retenu pour la jeune femme et Phileas Fogg veilla à ce qu’elle ne manquât

de rien. Puis il dit à Mrs. Aouda qu’il allait immédiatement se mettre à la recherche de ce

parent aux soins duquel il devait la laisser à Hong-Kong. En même temps il donnait à

Passepartout l’ordre de demeurer à l’hôtel jusqu’à son retour, afin que la jeune femme n’y

restât pas seule.

Le gentleman se fit conduire à la Bourse. Là, on connaîtrait immanquablement un personnage

tel que l’honorable Jejeeh, qui comptait parmi les plus riches commerçants de la ville.

Le courtier auquel s’adressa Mr. Fogg connaissait en effet le négociant parsi. Mais, depuis

deux ans, celui-ci n’habitait plus la Chine. Sa fortune faite, il s’était établi en Europe — en Hollande, croyait-on —, ce qui s’expliquait par suite de nombreuses relations qu’il avait eues avec ce pays pendant son existence commerciale.

Phileas Fogg revint à l’ Hôtel du Club. Aussitôt il fit demander à Mrs. Aouda la permission de se présenter devant elle, et, sans autre préambule, il lui apprit que l’honorable Jejeeh ne

résidait plus à Hong-Kong, et qu’il habitait vraisemblablement la Hollande.

À cela, Mrs. Aouda ne répondit rien d’abord. Elle passa sa main sur son front, et resta

quelques instants à réfléchir. Puis, de sa douce voix:

«Que dois-je faire, monsieur Fogg? dit-elle.

— C’est très simple, répondit le gentleman. Revenir en Europe.

— Mais je ne puis abuser...

— Vous n’abusez pas, et votre présence ne gêne en rien mon programme... Passepartout?

— Monsieur? répondit Passepartout.

— Allez au Carnatic, et retenez trois cabines.»

Passepartout, enchanté de continuer son voyage dans la compagnie de la jeune femme, qui

était fort gracieuse pour lui, quitta aussitôt l’ Hôtel du Club.

Chapitre 19

OU PASSEPARTOUT PREND UN TROP VIF INTERET A SON MAITRE, ET CE QUI S’ENSUIT.

Hong-Kong n’est qu’un îlot, dont le traité de Nanking, après la guerre de 1842, assura la

possession à l’Angleterre. En quelques années, le génie colonisateur de la Grande-Bretagne y

avait fondé une ville importante et créé un port, le port Victoria. Cette île est située à

l’embouchure de la rivière de Canton, et soixante milles seulement la séparent de la cité

portugaise de Macao, bâtie sur l’autre rive. Hong-Kong devait nécessairement vaincre Macao

dans une lutte commerciale, et maintenant la plus grande partie du transit chinois s’opère par la ville anglaise. Des docks, des hôpitaux, des wharfs, des entrepôts, une cathédrale gothique, un «government-house», des rues macadamisées, tout ferait croire qu’une des cités

commerçantes des comtés de Kent ou de Surrey, traversant le sphéroïde terrestre, est venue

ressortir en ce point de la Chine, presque à ses antipodes.






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