ÒÎÐ 5 ñòàòåé: Ìåòîäè÷åñêèå ïîäõîäû ê àíàëèçó ôèíàíñîâîãî ñîñòîÿíèÿ ïðåäïðèÿòèÿ Ïðîáëåìà ïåðèîäèçàöèè ðóññêîé ëèòåðàòóðû ÕÕ âåêà. Êðàòêàÿ õàðàêòåðèñòèêà âòîðîé ïîëîâèíû ÕÕ âåêà Õàðàêòåðèñòèêà øëèôîâàëüíûõ êðóãîâ è åå ìàðêèðîâêà Ñëóæåáíûå ÷àñòè ðå÷è. Ïðåäëîã. Ñîþç. ×àñòèöû ÊÀÒÅÃÎÐÈÈ:
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Le tour du monde en 80 jours 12 ñòðàíèöàLes passagers étaient assez nombreux à bord du steamer, des Anglais, beaucoup d’Américains, une véritable émigration de coolies pour l’Amérique, et un certain nombre d’officiers de l’armée des Indes, qui utilisaient leur congé en faisant le tour du monde. Pendant cette traversée il ne se produisit aucun incident nautique. Le paquebot, soutenu sur ses larges roues, appuyé par sa forte voilure, roulait peu. L’océan Pacifique justifiait assez son nom. Mr. Fogg était aussi calme, aussi peu communicatif que d’ordinaire. Sa jeune compagne se sentait de plus en plus attachée à cet homme par d’autres liens que ceux de la reconnaissance. Cette silencieuse nature, si généreuse en somme, l’impressionnait plus qu’elle ne le croyait, et c’était presque à son insu qu’elle se laissait aller à des sentiments dont l’énigmatique Fogg ne semblait aucunement subir l’influence. En outre, Mrs. Aouda s’intéressait prodigieusement aux projets du gentleman. Elle s’inquiétait des contrariétés qui pouvaient compromettre le succès du voyage. Souvent elle causait avec Passepartout, qui n’était point sans lire entre les lignes dans le cœur de Mrs. Aouda. Ce brave garçon avait, maintenant, à l’égard de son maître, la foi du charbonnier; il ne tarissait pas en éloges sur l’honnêteté, la générosité, le dévouement de Phileas Fogg; puis il rassurait Mrs. Aouda sur l’issue du voyage, répétant que le plus difficile était fait, que l’on était sorti de ces pays fantastiques de la Chine et du Japon, que l’on retournait aux contrées civilisées, et enfin qu’un train de San Francisco à New York et un transatlantique de New York à Londres suffiraient, sans doute, pour achever cet impossible tour du monde dans les délais convenus. Neuf jours après avoir quitté Yokohama, Phileas Fogg avait exactement parcouru la moitié du globe terrestre. En effet, le General-Grant, le 23 novembre, passait au cent quatre-vingtième méridien, celui sur lequel se trouvent, dans l’hémisphère austral, les antipodes de Londres. Sur quatre-vingts jours mis à sa disposition, Mr. Fogg, il est vrai, en avait employé cinquante-deux, et il ne lui en restait plus que vingt-huit à dépenser. Mais il faut remarquer que si le gentleman se trouvait à moitié route seulement «par la différence des méridiens», il avait en réalité accompli plus des deux tiers du parcours total. Quels détours forcés, en effet, de Londres à Aden, d’Aden à Bombay, de Calcutta à Singapore, de Singapore à Yokohama! À suivre circulairement le cinquantième parallèle, qui est celui de Londres, la distance n’eût été que de douze mille milles environ, tandis que Phileas Fogg était forcé, par les caprices des moyens de locomotion, d’en parcourir vingt-six mille dont il avait fait environ dix-sept mille cinq cents, à cette date du 23 novembre. Mais maintenant la route était droite, et Fix n’était plus là pour y accumuler les obstacles! Il arriva aussi que, ce 23 novembre, Passepartout éprouva une grande joie. On se rappelle que l’entêté s’était obstiné à garder l’heure de Londres à sa fameuse montre de famille, tenant pour fausses toutes les heures des pays qu’il traversait. Or, ce jour-là, bien qu’il ne l’eût jamais ni avancée ni retardée, sa montre se trouva d’accord avec les chronomètres du bord. Si Passepartout triompha, cela se comprend de reste. Il aurait bien voulu savoir ce que Fix aurait pu dire, s’il eût été présent. «Ce coquin qui me racontait un tas d’histoires sur les méridiens, sur le soleil, sur la lune! répétait Passepartout. Hein! ces gens-là! Si on les écoutait, on ferait de la belle horlogerie! J’étais bien sûr qu’un jour ou l’autre, le soleil se déciderait à se régler sur ma montre!...» Passepartout ignorait ceci: c’est que si le cadran de sa montre eût été divisé en vingt-quatre heures comme les horloges italiennes, il n’aurait eu aucun motif de triompher, car les aiguilles de son instrument, quand il était neuf heures du matin à bord, auraient indiqué neuf heures du soir, c’est-à-dire la vingt et unième heure depuis minuit, — différence précisément égale à celle qui existe entre Londres et le cent quatre-vingtième méridien. Mais si Fix avait été capable d’expliquer cet effet purement physique, Passepartout, sans doute, eût été incapable, sinon de le comprendre, du moins de l’admettre. Et en tout cas, si, par impossible, l’inspecteur de police se fût inopinément montré à bord en ce moment, il est probable que Passepartout, à bon droit rancunier, eût traité avec lui un sujet tout différent et d’une tout autre manière. Or, où était Fix en ce moment?... Fix était précisément à bord du General-Grant. En effet, en arrivant à Yokohama, l’agent, abandonnant Mr. Fogg qu’il comptait retrouver dans la journée, s’était immédiatement rendu chez le consul anglais. Là, il avait enfin trouvé le mandat, qui, courant après lui depuis Bombay, avait déjà quarante jours de date, — mandat qui lui avait été expédié de Hong-Kong par ce même Carnatic à bord duquel on le croyait. Qu’on juge du désappointement du détective! Le mandat devenait inutile! Le sieur Fogg avait quitté les possessions anglaises! Un acte d’extradition était maintenant nécessaire pour l’arrêter! «Soit! se dit Fix, après le premier moment de colère, mon mandat n’est plus bon ici, il le sera en Angleterre. Ce coquin a tout l’air de revenir dans sa patrie, croyant avoir dépisté la police. Bien. Je le suivrai jusque-là. Quant à l’argent, Dieu veuille qu’il en reste! Mais en voyages, en primes, en procès, en amendes, en éléphant, en frais de toute sorte, mon homme a déjà laissé plus de cinq mille livres sur sa route. Après tout, la Banque est riche!» Son parti pris, il s’embarqua aussitôt sur le General-Grant. Il était à bord, quand Mr. Fogg et Mrs. Aouda y arrivèrent. À son extrême surprise, il reconnut Passepartout sous son costume de héraut. Il se cacha aussitôt dans sa cabine, afin d’éviter une explication qui pouvait tout compromettre, — et, grâce au nombre des passagers, il comptait bien n’être point aperçu de son ennemi, lorsque ce jour-là précisément il se trouva face à face avec lui sur l’avant du navire. Passepartout sauta à la gorge de Fix, sans autre explication, et, au grand plaisir de certains Américains qui parièrent immédiatement pour lui, il administra au malheureux inspecteur une volée superbe, qui démontra la haute supériorité de la boxe française sur la boxe anglaise. Quand Passepartout eut fini, il se trouva calme et comme soulagé. Fix se releva, en assez mauvais état, et, regardant son adversaire, il lui dit froidement: «Est-ce fini? — Oui, pour l’instant. — Alors venez me parler. — Que je... — Dans l’intérêt de votre maître.» Passepartout, comme subjugué par ce sang-froid, suivit l’inspecteur de police, et tous deux s’assirent à l’avant du steamer. «Vous m’avez rossé, dit Fix. Bien. À présent, écoutez-moi. Jusqu’ici j’ai été l’adversaire de Mr. Fogg, mais maintenant je suis dans son jeu. — Enfin! s’écria Passepartout, vous le croyez un honnête homme? — Non, répondit froidement Fix, je le crois un coquin... Chut! ne bougez pas et laissez-moi dire. Tant que Mr. Fogg a été sur les possessions anglaises, j’ai eu intérêt à le retenir en attendant un mandat d’arrestation. J’ai tout fait pour cela. J’ai lancé contre lui les prêtres de Bombay, je vous ai enivré à Hong-Kong, je vous ai séparé de votre maître, je lui ai fait manquer le paquebot de Yokohama...» Passepartout écoutait, les poings fermés. «Maintenant, reprit Fix, Mr. Fogg semble retourner en Angleterre? Soit, je le suivrai. Mais, désormais, je mettrai à écarter les obstacles de sa route autant de soin et de zèle que j’en ai mis jusqu’ici à les accumuler. Vous le voyez, mon jeu est changé, et il est changé parce que mon intérêt le veut. J’ajoute que votre intérêt est pareil au mien, car c’est en Angleterre seulement que vous saurez si vous êtes au service d’un criminel ou d’un honnête homme!» Passepartout avait très attentivement écouté Fix, et il fut convaincu que Fix parlait avec une entière bonne foi. «Sommes-nous amis? demanda Fix. — Amis, non, répondit Passepartout. Alliés, oui, et sous bénéfice d’inventaire, car, à la moindre apparence de trahison, je vous tords le cou. — Convenu», dit tranquillement l’inspecteur de police. Onze jours après, le 3 décembre, le General-Grant entrait dans la baie de la Porte-d’Or et arrivait à San Francisco. Mr. Fogg n’avait encore ni gagné ni perdu un seul jour. Chapitre 25 OU L’ON DONNE UN LEGER APERÇU DE SAN FRANCISCO, UN JOUR DE MEETING. Il était sept heures du matin, quand Phileas Fogg, Mrs. Aouda et Passepartout prirent pied sur le continent américain, — si toutefois on peut donner ce nom au quai flottant sur lequel ils débarquèrent. Ces quais, montant et descendant avec la marée, facilitent le chargement et le déchargement des navires. Là s’embossent les clippers de toutes dimensions, les steamers de toutes nationalités, et ces steam-boats à plusieurs étages, qui font le service du Sacramento et de ses affluents. Là s’entassent aussi les produits d’un commerce qui s’étend au Mexique, au Pérou, au Chili, au Brésil, à l’Europe, à l’Asie, à toutes les îles de l’océan Pacifique. Passepartout, dans sa joie de toucher enfin la terre américaine, avait cru devoir opérer son débarquement en exécutant un saut périlleux du plus beau style. Mais quand il retomba sur le quai dont le plancher était vermoulu, il faillit passer au travers. Tout décontenancé de la façon dont il avait «pris pied» sur le nouveau continent, l’honnête garçon poussa un cri formidable, qui fit envoler une innombrable troupe de cormorans et de pélicans, hôtes habituels des quais mobiles. Mr. Fogg, aussitôt débarqué, s’informa de l’heure à laquelle partait le premier train pour New York. C’était à six heures du soir. Mr. Fogg avait donc une journée entière à dépenser dans la capitale californienne. Il fit venir une voiture pour Mrs. Aouda et pour lui. Passepartout monta sur le siège, et le véhicule, à trois dollars la course, se dirigea vers International-Hôtel. De la place élevée qu’il occupait, Passepartout observait avec curiosité la grande ville américaine: larges rues, maisons basses bien alignées, églises et temples d’un gothique anglo-saxon, docks immenses, entrepôts comme des palais, les uns en bois, les autres en brique; dans les rues, voitures nombreuses, omnibus, «cars» de tramways, et sur les trottoirs encombrés, non seulement des Américains et des Européens, mais aussi des Chinois et des Indiens, — enfin de quoi composer une population de plus de deux cent mille habitants. Passepartout fut assez surpris de ce qu’il voyait. Il en était encore à la cité légendaire de 1849, à la ville des bandits, des incendiaires et des assassins, accourus à la conquête des pépites, immense capharnaüm de tous les déclassés, où l’on jouait la poudre l’or, un revolver d’une main et un couteau de l’autre. Mais «ce beau temps» était passé. San Francisco présentait l’aspect d’une grande ville commerçante. La haute tour de l’hôtel de ville, où veillent les guetteurs, dominait tout cet ensemble de rues et d’avenues, se coupant à angles droits, entre lesquels s’épanouissaient des squares verdoyants, puis une ville chinoise qui semblait avoir été importée du Céleste Empire dans une boîte à joujoux. Plus de sombreros, plus de chemises rouges à la mode des coureurs de placers, plus d’Indiens emplumés, mais des chapeaux de soie et des habits noirs, que portaient un grand nombre de gentlemen doués d’une activité dévorante. Certaines rues, entre autres Montgommery-street — le Régent-street de Londres, le boulevard des Italiens de Paris, le Broadway de New York —, étaient bordées de magasins splendides, qui offraient à leur étalage les produits du monde entier. Lorsque Passepartout arriva à International-Hôtel, il ne lui semblait pas qu’il eût quitté l’Angleterre. Le rez-de-chaussée de l’hôtel était occupé par un immense «bar», sorte de buffet ouvert gratis à tout passant. Viande sèche, soupe aux huîtres, biscuit et chester s’y débitaient sans que le consommateur eût à délier sa bourse. Il ne payait que sa boisson, ale, porto ou xérès, si sa fantaisie le portait à se rafraîchir. Cela parut «très américain» à Passepartout. Le restaurant de l’hôtel était confortable. Mr. Fogg et Mrs. Aouda s’installèrent devant une table et furent abondamment servis dans des plats lilliputiens par des Nègres du plus beau noir. Après déjeuner, Phileas Fogg, accompagné de Mrs. Aouda, quitta l’hôtel pour se rendre aux bureaux du consul anglais afin d’y faire viser son passeport. Sur le trottoir, il trouva son domestique, qui lui demanda si, avant de prendre le chemin de fer du Pacifique, il ne serait pas prudent d’acheter quelques douzaines de carabines Enfield ou de revolvers Colt. Passepartout avait entendu parler de Sioux et de Pawnies, qui arrêtent les trains comme de simples voleurs espagnols. Mr. Fogg répondit que c’était là une précaution inutile, mais il le laissa libre d’agir comme il lui conviendrait. Puis il se dirigea vers les bureaux de l’agent consulaire. Phileas Fogg n’avait pas fait deux cents pas que, «par le plus grand des hasards», il rencontrait Fix. L’inspecteur se montra extrêmement surpris. Comment! Mr. Fogg et lui avaient fait ensemble la traversée du Pacifique, et ils ne s’étaient pas rencontrés à bord! En tout cas, Fix ne pouvait être qu’honoré de revoir le gentleman auquel il devait tant, et, ses affaires le rappelant en Europe, il serait enchanté de poursuivre son voyage en une si agréable compagnie. Mr. Fogg répondit que l’honneur serait pour lui, et Fix — qui tenait à ne point le perdre de vue — lui demanda la permission de visiter avec lui cette curieuse ville de San Francisco. Ce qui fut accordé. Voici donc Mrs. Aouda, Phileas Fogg et Fix flânant par les rues. Ils se trouvèrent bientôt dans Montgommery-street, où l’affluence du populaire était énorme. Sur les trottoirs, au milieu de la chaussée, sur les rails des tramways, malgré le passage incessant des coaches et des omnibus, au seuil des boutiques, aux fenêtres de toutes les maisons, et même jusque sur les toits, foule innombrable. Des hommes-affiches circulaient au milieu des groupes. Des bannières et des banderoles flottaient au vent. Des cris éclataient de toutes parts. «Hurrah pour Kamerfield! — Hurrah pour Mandiboy!» C’était un meeting. Ce fut du moins la pensée de Fix, et il communiqua son idée à Mr. Fogg, en ajoutant: «Nous ferons peut-être bien, monsieur, de ne point nous mêler à cette cohue. Il n’y a que de mauvais coups à recevoir. — En effet, répondit Phileas Fogg, et les coups de poing, pour être politiques, n’en sont pas moins des coups de poing!» Fix crut devoir sourire en entendant cette observation, et, afin de voir sans être pris dans la bagarre, Mrs. Aouda, Phileas Fogg et lui prirent place sur le palier supérieur d’un escalier que desservait une terrasse, située en contre-haut de Montgommery-street. Devant eux, de l’autre côté de la rue, entre le wharf d’un marchand de charbon et le magasin d’un négociant en pétrole, se développait un large bureau en plein vent, vers lequel les divers courants de la foule semblaient converger. Et maintenant, pourquoi ce meeting? À quelle occasion se tenait-il? Phileas Fogg l’ignorait absolument. S’agissait-il de la nomination d’un haut fonctionnaire militaire ou civil, d’un gouverneur d’État ou d’un membre du Congrès? Il était permis de le conjecturer, à voir l’animation extraordinaire qui passionnait la ville. En ce moment un mouvement considérable se produisit dans la foule. Toutes les mains étaient en l’air. Quelques-unes, solidement fermées, semblaient se lever et s’abattre rapidement au milieu des cris, — manière énergique, sans doute, de formuler un vote. Des remous agitaient la masse qui refluait. Les bannières oscillaient, disparaissaient un instant et reparaissaient en loques. Les ondulations de la houle se propageaient jusqu’à l’escalier, tandis que toutes les têtes moutonnaient à la surface comme une mer soudainement remuée par un grain. Le nombre des chapeaux noirs diminuait à vue d’œil, et la plupart semblaient avoir perdu de leur hauteur normale. «C’est évidemment un meeting, dit Fix, et la question qui l’a provoqué doit être palpitante. Je ne serais point étonné qu’il fût encore question de l’affaire de l’ Alabama, bien qu’elle soit résolue. — Peut-être, répondit simplement Mr. Fogg. — En tout cas, reprit Fix, deux champions sont en présence l’un de l’autre, l’honorable Kamerfield et l’honorable Mandiboy.» Mrs. Aouda, au bras de Phileas Fogg, regardait avec surprise cette scène tumultueuse, et Fix allait demander à l’un de ses voisins la raison de cette effervescence populaire, quand un mouvement plus accusé se prononça. Les hurrahs, agrémentés d’injures, redoublèrent. La hampe des bannières se transforma en arme offensive. Plus de mains, des poings partout. Du haut des voitures arrêtées, et des omnibus enrayés dans leur course, s’échangeaient force horions. Tout servait de projectiles. Bottes et souliers décrivaient dans l’air des trajectoires très tendues, et il sembla même que quelques revolvers mêlaient aux vociférations de la foule leurs détonations nationales. La cohue se rapprocha de l’escalier et reflua sur les premières marches. L’un des partis était évidemment repoussé, sans que les simples spectateurs pussent reconnaître si l’avantage restait à Mandiboy ou à Kamerfield. «Je crois prudent de nous retirer, dit Fix, qui ne tenait pas à ce que «son homme» reçût un mauvais coup ou se fît une mauvaise affaire. S’il est question de l’Angleterre dans tout ceci et qu’on nous reconnaisse, nous serons fort compromis dans la bagarre! — Un citoyen anglais...», répondit Phileas Fogg. Mais le gentleman ne put achever sa phrase. Derrière lui, de cette terrasse qui précédait l’escalier, partirent des hurlements épouvantables. On criait: «Hurrah! Hip! Hip! pour Mandiboy!» C’était une troupe d’électeurs qui arrivait à la rescousse, prenant en flanc les partisans de Kamerfield. Mr. Fogg, Mrs. Aouda, Fix se trouvèrent entre deux feux. Il était trop tard pour s’échapper. Ce torrent d’hommes, armés de cannes plombées et de casse-tête, était irrésistible. Phileas Fogg et Fix, en préservant la jeune femme, furent horriblement bousculés. Mr. Fogg, non moins flegmatique que d’habitude, voulut se défendre avec ces armes naturelles que la nature a mises au bout des bras de tout Anglais, mais inutilement. Un énorme gaillard à barbiche rouge, au teint coloré, large d’épaules, qui paraissait être le chef de la bande, leva son formidable poing sur Mr. Fogg, et il eût fort endommagé le gentleman, si Fix, par dévouement, n’eût reçu le coup à sa place. Une énorme bosse se développa instantanément sous le chapeau de soie du détective, transformé en simple toque. «Yankee! dit Mr. Fogg, en lançant à son adversaire un regard de profond mépris. — Englishman! répondit l’autre. — Nous nous retrouverons! — Quand il vous plaira. — Votre nom? — Phileas Fogg. Le vôtre? — Le colonel Stamp W. Proctor.» Puis, cela dit, la marée passa. Fix fut renversé et se releva, les habits déchirés, mais sans meurtrissure sérieuse. Son paletot de voyage s’était séparé en deux parties inégales, et son pantalon ressemblait à ces culottes dont certains Indiens — affaire de mode — ne se vêtent qu’après en avoir préalablement enlevé le fond. Mais, en somme, Mrs. Aouda avait été épargnée, et, seul, Fix en était pour son coup de poing. «Merci, dit Mr. Fogg à l’inspecteur, dès qu’ils furent hors de la foule. — Il n’y a pas de quoi, répondit Fix, mais venez. — Où? — Chez un marchand de confection.» En effet, cette visite était opportune. Les habits de Phileas Fogg et de Fix étaient en lambeaux, comme si ces deux gentlemen se fussent battus pour le compte des honorables Kamerfield et Mandiboy. Une heure après, ils étaient convenablement vêtus et coiffés. Puis ils revinrent à International-Hôtel. Là, Passepartout attendait son maître, armé d’une demi-douzaine de revolvers-poignards à six coups et à inflammation centrale. Quand il aperçut Fix en compagnie de Mr. Fogg, son front s’obscurcit. Mais Mrs. Aouda, ayant fait en quelques mots le récit de ce qui s’était passé, Passepartout se rasséréna. Évidemment Fix n’était plus un ennemi, c’était un allié. Il tenait sa parole. Le dîner terminé, un coach fut amené, qui devait conduire à la gare les voyageurs et leurs colis. Au moment de monter en voiture, Mr. Fogg dit à Fix: «Vous n’avez pas revu ce colonel Proctor? — Non, répondit Fix. — Je reviendrai en Amérique pour le retrouver, dit froidement Phileas Fogg. Il ne serait pas convenable qu’un citoyen anglais se laissât traiter de cette façon.» L’inspecteur sourit et ne répondit pas. Mais, on le voit, Mr. Fogg était de cette race d’Anglais qui, s’ils ne tolèrent pas le duel chez eux, se battent à l’étranger, quand il s’agit de soutenir leur honneur. À six heures moins un quart, les voyageurs atteignaient la gare et trouvaient le train prêt à partir. Au moment où Mr. Fogg allait s’embarquer, il avisa un employé et le rejoignant: «Mon ami, lui dit-il, n’y a-t-il pas eu quelques troubles aujourd’hui à San Francisco? — C’était un meeting, monsieur, répondit l’employé. — Cependant, j’ai cru remarquer une certaine animation dans les rues. — Il s’agissait simplement d’un meeting organisé pour une élection. — L’élection d’un général en chef, sans doute? demanda Mr. Fogg. — Non, monsieur, d’un juge de paix.» Sur cette réponse, Phileas Fogg monta dans le wagon, et le train partit à toute vapeur. Chapitre 26 DANS LEQUEL ON PREND LE TRAIN EXPRESS DU CHEMIN DE FER DU PACIFIQUE. «Ocean to Ocean» — ainsi disent les Américains —, et ces trois mots devraient être la dénomination générale du «grand trunk», qui traverse les États-Unis d’Amérique dans leur plus grande largeur. Mais, en réalité, le «Pacific rail-road» se divise en deux parties distinctes: «Central Pacific» entre San Francisco et Ogden, et «Union Pacific» entre Ogden et Omaha. Là se raccordent cinq lignes distinctes, qui mettent Omaha en communication fréquente avec New York. New York et San Francisco sont donc présentement réunis par un ruban de métal non interrompu qui ne mesure pas moins de trois mille sept cent quatre-vingt-six milles. Entre Omaha et le Pacifique, le chemin de fer franchit une contrée encore fréquentée par les Indiens et les fauves, — vaste étendue de territoire que les Mormons commencèrent à coloniser vers 1845, après qu’ils eurent été chassés de l’Illinois. Autrefois, dans les circonstances les plus favorables, on employait six mois pour aller de New York à San Francisco. Maintenant, on met sept jours. C’est en 1862 que, malgré l’opposition des députés du Sud, qui voulaient une ligne plus méridionale, le tracé du rail-road fut arrêté entre le quarante et unième et le quarante- deuxième parallèle. Le président Lincoln, de si regrettée mémoire, fixa lui-même, dans l’État de Nebraska, à la ville d’Omaha, la tête de ligne du nouveau réseau. Les travaux furent aussitôt commencés et poursuivis avec cette activité américaine, qui n’est ni paperassière ni bureaucratique. La rapidité de la main-d’œuvre ne devait nuire en aucune façon à la bonne exécution du chemin. Dans la prairie, on avançait à raison d’un mille et demi par jour. Une locomotive, roulant sur les rails de la veille, apportait les rails du lendemain, et courait à leur surface au fur et à mesure qu’ils étaient posés. Íå íàøëè, ÷òî èñêàëè? Âîñïîëüçóéòåñü ïîèñêîì:
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