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ÊÀÒÅÃÎÐÈÈ:






Le tour du monde en 80 jours 15 ñòðàíèöà




gentlemen, et ils se retirèrent sur les passerelles.

Ce wagon, long d’une cinquantaine de pieds, se prêtait très convenablement à la circonstance.

Les deux adversaires pouvaient marcher l’un sur l’autre entre les banquettes et s’arquebuser à leur aise. Jamais duel ne fut plus facile à régler. Mr. Fogg et le colonel Proctor, munis chacun de deux revolvers à six coups, entrèrent dans le wagon. Leurs témoins, restés en dehors, les y enfermèrent. Au premier coup de sifflet de la locomotive, ils devaient commencer le feu...

Puis, après un laps de deux minutes, on retirerait du wagon ce qui resterait des deux

gentlemen.

Rien de plus simple en vérité. C’était même si simple, que Fix et Passepartout sentaient leur cœur battre à se briser.

On attendait donc le coup de sifflet convenu, quand soudain des cris sauvages retentirent. Des détonations les accompagnèrent, mais elles ne venaient point du wagon réservé aux duellistes.

Ces détonations se prolongeaient, au contraire, jusqu’à l’avant et sur toute la ligne du train.

Des cris de frayeur se faisaient entendre à l’intérieur du convoi.

Le colonel Proctor et Mr. Fogg, revolver au poing, sortirent aussitôt du wagon et se

précipitèrent vers l’avant, où retentissaient plus bruyamment les détonations et les cris.

Ils avaient compris que le train était attaqué par une bande de Sioux.

Ces hardis Indiens n’en étaient pas à leur coup d’essai, et plus d’une fois déjà ils avaient

arrêté les convois. Suivant leur habitude, sans attendre l’arrêt du train, s’élançant sur les marchepieds au nombre d’une centaine, ils avaient escaladé les wagons comme fait un clown

d’un cheval au galop.

Ces Sioux étaient munis de fusils. De là les détonations auxquelles les voyageurs, presque

tous armés, ripostaient par des coups de revolver. Tout d’abord, les Indiens s’étaient

précipités sur la machine. Le mécanicien et le chauffeur avaient été à demi assommés à coups

de casse-tête. Un chef sioux, voulant arrêter le train, mais ne sachant pas manœuvrer la

manette du régulateur, avait largement ouvert l’introduction de la vapeur au lieu de la fermer, et la locomotive, emportée, courait avec une vitesse effroyable.

En même temps, les Sioux avaient envahi les wagons, ils couraient comme des singes en

fureur sur les impériales, ils enfonçaient les portières et luttaient corps à corps avec les

voyageurs. Hors du wagon de bagages, forcé et pillé, les colis étaient précipités sur la voie.

Cris et coups de feu ne discontinuaient pas.

Cependant les voyageurs se défendaient avec courage. Certains wagons, barricadés,

soutenaient un siège, comme de véritables forts ambulants, emportés avec une rapidité de cent milles à l’heure.

Dès le début de l’attaque, Mrs. Aouda s’était courageusement comportée. Le revolver à la

main, elle se défendait héroïquement, tirant à travers les vitres brisées, lorsque quelque

sauvage se présentait à elle. Une vingtaine de Sioux, frappés à mort, étaient tombés sur la

voie, et les roues des wagons écrasaient comme des vers ceux d’entre eux qui glissaient sur

les rails du haut des passerelles.

Plusieurs voyageurs, grièvement atteints par les balles ou les casse-tête, gisaient sur les

banquettes.

Cependant il fallait en finir. Cette lutte durait déjà depuis dix minutes, et ne pouvait que se terminer à l’avantage des Sioux, si le train ne s’arrêtait pas. En effet, la station du fort

Kearney n’était pas à deux milles de distance. Là se trouvait un poste américain; mais ce

poste passé, entre le fort Kearney et la station suivante les Sioux seraient les maîtres du train.

Le conducteur se battait aux côtés de Mr. Fogg, quand une balle le renversa. En tombant, cet

homme s’écria:

«Nous sommes perdus, si le train ne s’arrête pas avant cinq minutes!

— Il s’arrêtera! dit Phileas Fogg, qui voulut s’élancer hors du wagon.

— Restez, monsieur, lui cria Passepartout. Cela me regarde!»

Phileas Fogg n’eut pas le temps d’arrêter ce courageux garçon, qui, ouvrant une portière sans être vu des Indiens, parvint à se glisser sous le wagon. Et alors, tandis que la lutte continuait, pendant que les balles se croisaient au-dessus de sa tête, retrouvant son agilité, sa souplesse de clown, se faufilant sous les wagons, s’accrochant aux chaînes, s’aidant du levier des freins et des longerons des châssis, rampant d’une voiture à l’autre avec une adresse merveilleuse, il

gagna ainsi l’avant du train. Il n’avait pas été vu, il n’avait pu l’être.

Là, suspendu d’une main entre le wagon des bagages et le tender, de l’autre il décrocha les

chaînes de sûreté; mais par suite de la traction opérée, il n’aurait jamais pu parvenir à

dévisser la barre d’attelage, si une secousse que la machine éprouva n’eût fait sauter cette

barre, et le train, détaché, resta peu à peu en arrière, tandis que la locomotive s’enfuyait avec une nouvelle vitesse.

Emporté par la force acquise, le train roula encore pendant quelques minutes, mais les freins furent manœuvrés à l’intérieur des wagons, et le convoi s’arrêta enfin, à moins de cent pas de la station de Kearney.

Là, les soldats du fort, attirés par les coups de feu, accoururent en hâte. Les Sioux ne les

avaient pas attendus, et, avant l’arrêt complet du train, toute la bande avait décampé.

Mais quand les voyageurs se comptèrent sur le quai de la station, ils reconnurent que plusieurs manquaient à l’appel, et entre autres le courageux Français dont le dévouement venait de les

sauver.

Chapitre 30

DANS LEQUEL PHILEAS FOGG FAIT TOUT SIMPLEMENT SON DEVOIR.

Trois voyageurs, Passepartout compris, avaient disparu. Avaient-ils été tués dans la lutte?

Étaient-ils prisonniers des Sioux? On ne pouvait encore le savoir.

Les blessés étaient assez nombreux, mais on reconnut qu’aucun n’était atteint mortellement.

Un dès plus grièvement frappé, c’était le colonel Proctor, qui s’était bravement battu, et

qu’une balle à l’aine avait renversé. Il fut transporté à la gare avec d’autres voyageurs, dont l’état réclamait des soins immédiats.

Mrs. Aouda était sauve. Phileas Fogg, qui ne s’était pas épargné, n’avait pas une égratignure.

Fix était blessé au bras, blessure sans importance. Mais Passepartout manquait, et des larmes coulaient des yeux de la jeune femme.

Cependant tous les voyageurs avaient quitté le train. Les roues des wagons étaient tachées de sang. Aux moyeux et aux rayons pendaient d’informes lambeaux de chair. On voyait à perte

de vue sur la plaine blanche de longues traînées rouges. Les derniers Indiens disparaissaient alors dans le sud, du côté de Republican-river.

Mr. Fogg, les bras croisés, restait immobile. Il avait une grave décision à prendre. Mrs.

Aouda, près de lui, le regardait sans prononcer une parole... Il comprit ce regard. Si son

serviteur était prisonnier, ne devait-il pas tout risquer pour l’arracher aux Indiens?...

«Je le retrouverai mort ou vivant, dit-il simplement à Mrs. Aouda.

— Ah! monsieur... monsieur Fogg! s’écria la jeune femme, en saisissant les mains de son

compagnon qu’elle couvrit de larmes.

— Vivant! ajouta Mr. Fogg, si nous ne perdons pas une minute!»

Par cette résolution, Phileas Fogg se sacrifiait tout entier. Il venait de prononcer sa ruine. Un seul jour de retard lui faisait manquer le paquebot à New York. Son pari était irrévocablement perdu. Mais devant cette pensée: «C’est mon devoir!» il n’avait pas hésité.

Le capitaine commandant le fort Kearney était là. Ses soldats — une centaine d’hommes

environ — s’étaient mis sur la défensive pour le cas où les Sioux auraient dirigé une attaque directe contre la gare.

«Monsieur, dit Mr. Fogg au capitaine, trois voyageurs ont disparu.

— Morts? demanda le capitaine.

— Morts ou prisonniers, répondit Phileas Fogg. Là est une incertitude qu’il faut faire cesser.

Votre intention est-elle de poursuivre les Sioux?

— Cela est grave, monsieur, dit le capitaine. Ces Indiens peuvent fuir jusqu’au-delà de

l’Arkansas! Je ne saurais abandonner le fort qui m’est confié.

— Monsieur, reprit Phileas Fogg, il s’agit de la vie de trois hommes.

— Sans doute... mais puis-je risquer la vie de cinquante pour en sauver trois?

— Je ne sais si vous le pouvez, monsieur, mais vous le devez.

— Monsieur, répondit le capitaine, personne ici n’a à m’apprendre quel est mon devoir.

— Soit, dit froidement Phileas Fogg. J’irai seul!

— Vous, monsieur! s’écria Fix, qui s’était approché, aller seul à la poursuite des Indiens!

— Voulez-vous donc que je laisse périr ce malheureux, à qui tout ce qui est vivant ici doit la vie? J’irai.

— Eh bien, non, vous n’irez pas seul! s’écria le capitaine, ému malgré lui. Non! Vous êtes

un brave cœur!... Trente hommes de bonne volonté!» ajouta-t-il en se tournant vers ses

soldats.

Toute la compagnie s’avança en masse. Le capitaine n’eut qu’à choisir parmi ces braves gens.

Trente soldats furent désignés, et un vieux sergent se mit à leur tête.

«Merci, capitaine! dit Mr. Fogg.

— Vous me permettrez de vous accompagner? demanda Fix au gentleman.

— Vous ferez comme il vous plaira, monsieur, lui répondit Phileas Fogg. Mais si vous voulez

me rendre service, vous resterez près de Mrs. Aouda. Au cas où il m’arriverait malheur...»

Une pâleur subite envahit la figure de l’inspecteur de police. Se séparer de l’homme qu’il

avait suivi pas à pas et avec tant de persistance! Le laisser s’aventurer ainsi dans ce désert!

Fix regarda attentivement le gentleman, et, quoi qu’il en eût, malgré ses préventions, en dépit du combat qui se livrait en lui, il baissa les yeux devant ce regard calme et franc.

«Je resterai», dit-il.

Quelques instants après, Mr. Fogg avait serré la main de la jeune femme; puis, après lui avoir remis son précieux sac de voyage, il partait avec le sergent et sa petite troupe.

Mais avant de partir, il avait dit aux soldats:

«Mes amis, il y a mille livres pour vous si nous sauvons les prisonniers!»

Il était alors midi et quelques minutes.

Mrs. Aouda s’était retirée dans une chambre de la gare, et là, seule, elle attendait, songeant à Phileas Fogg, à cette générosité simple et grande, à ce tranquille courage. Mr. Fogg avait

sacrifié sa fortune, et maintenant il jouait sa vie, tout cela sans hésitation, par devoir, sans phrases. Phileas Fogg était un héros à ses yeux.

L’inspecteur Fix, lui, ne pensait pas ainsi, et il ne pouvait contenir son agitation. Il se

promenait fébrilement sur le quai de la gare. Un moment subjugué, il redevenait lui-même.

Fogg parti, il comprenait la sottise qu’il avait faite de le laisser partir. Quoi! cet homme qu’il venait de suivre autour du monde, il avait consenti à s’en séparer! Sa nature reprenait le

dessus, il s’incriminait, il s’accusait, il se traitait comme s’il eût été le directeur de la police métropolitaine, admonestant un agent pris en flagrant délit de naïveté.

«J’ai été inepte! pensait-il. L’autre lui aura appris qui j’étais! Il est parti, il ne reviendra pas! Où le reprendre maintenant? Mais comment ai-je pu me laisser fasciner ainsi, moi, Fix, moi, qui ai en poche son ordre d’arrestation! Décidément je ne suis qu’une bête!»

Ainsi raisonnait l’inspecteur de police, tandis que les heures s’écoulaient si lentement à son gré. Il ne savait que faire. Quelquefois, il avait envie de tout dire à Mrs. Aouda. Mais il

comprenait comment il serait reçu par la jeune femme. Quel parti prendre? Il était tenté de

s’en aller à travers les longues plaines blanches, à la poursuite de ce Fogg! Il ne lui semblait pas impossible de le retrouver. Les pas du détachement étaient encore imprimés sur la

neige!... Mais bientôt, sous une couche nouvelle, toute empreinte s’effaça.

Alors le découragement prit Fix. Il éprouva comme une insurmontable envie d’abandonner la

partie. Or, précisément, cette occasion de quitter la station de Kearney et de poursuivre ce

voyage, si fécond en déconvenues, lui fut offerte.

En effet, vers deux heures après midi, pendant que la neige tombait à gros flocons, on entendit de longs sifflets qui venaient de l’est. Une énorme ombre, précédée d’une lueur fauve,

s’avançait lentement, considérablement grandie par les brumes, qui lui donnaient un aspect

fantastique.

Cependant on n’attendait encore aucun train venant de l’est. Les secours réclamés par le

télégraphe ne pouvaient arriver sitôt, et le train d’Omaha à San Francisco ne devait passer que le lendemain. — On fut bientôt fixé.

Cette locomotive qui marchait à petite vapeur, en jetant de grands coups de sifflet, c’était celle qui, après avoir été détachée du train, avait continué sa route avec une si effrayante vitesse, emportant le chauffeur et le mécanicien inanimés. Elle avait couru sur les rails pendant

plusieurs milles; puis, le feu avait baissé, faute de combustible; la vapeur s’était détendue, et une heure après, ralentissant peu à peu sa marche, la machine s’arrêtait enfin à vingt milles au-delà de la station de Kearney.

Ni le mécanicien ni le chauffeur n’avaient succombé, et, après un évanouissement assez

prolongé, ils étaient revenus à eux.

La machine était alors arrêtée. Quand il se vit dans le désert, la locomotive seule, n’ayant plus de wagons à sa suite, le mécanicien comprit ce qui s’était passé. Comment la locomotive avait été détachée du train, il ne put le deviner, mais il n’était pas douteux, pour lui, que le train, resté en arrière, se trouvât en détresse.

Le mécanicien n’hésita pas sur ce qu’il devait faire. Continuer la route dans la direction

d’Omaha était prudent; retourner vers le train, que les Indiens pillaient peut-être encore, était dangereux... N’importe! Des pelletées de charbon et de bois furent engouffrées dans le foyer de sa chaudière, le feu se ranima, la pression monta de nouveau, et, vers deux heures après

midi, la machine revenait en arrière vers la station de Kearney. C’était elle qui sifflait dans la brume.

Ce fut une grande satisfaction pour les voyageurs, quand ils virent la locomotive se mettre en tête du train. Ils allaient pouvoir continuer ce voyage si malheureusement interrompu.

À l’arrivée de la machine, Mrs. Aouda avait quitté la gare, et s’adressant au conducteur:

«Vous allez partir? lui demanda-t-elle.

— À l’instant, madame.

— Mais ces prisonniers... nos malheureux compagnons...

— Je ne puis interrompre le service, répondit le conducteur. Nous avons déjà trois heures de

retard.

— Et quand passera l’autre train venant de San Francisco?

— Demain soir, madame.

— Demain soir! mais il sera trop tard. Il faut attendre...

— C’est impossible, répondit le conducteur. Si vous voulez partir, montez en voiture.

— Je ne partirai pas», répondit la jeune femme. Fix avait entendu cette conversation.

Quelques instants auparavant, quand tout moyen de locomotion lui manquait, il était décidé à

quitter Kearney, et maintenant que le train était là, prêt à s’élancer, qu’il n’avait plus qu’à reprendre sa place dans le wagon, une irrésistible force le rattachait au sol. Ce quai de la gare lui brûlait les pieds, et il ne pouvait s’en arracher. Le combat recommençait en lui. La colère de l’insuccès l’étouffait. Il voulait lutter jusqu’au bout.

Cependant les voyageurs et quelques blessés — entre autres le colonel Proctor, dont l’état

était grave — avaient pris place dans les wagons. On entendait les bourdonnements de la

chaudière surchauffée, et la vapeur s’échappait par les soupapes. Le mécanicien siffla, le train se mit en marche, et disparut bientôt, mêlant sa fumée blanche au tourbillon des neiges.

L’inspecteur Fix était resté.

Quelques heures s’écoulèrent. Le temps était fort mauvais, le froid très vif. Fix, assis sur un banc dans la gare, restait immobile. On eût pu croire qu’il dormait. Mrs. Aouda, malgré la

rafale, quittait à chaque instant la chambre qui avait été mise à sa disposition. Elle venait à l’extrémité du quai, cherchant à voir à travers la tempête de neige, voulant percer cette brume qui réduisait l’horizon autour d’elle, écoutant si quelque bruit se ferait entendre. Mais rien.

Elle rentrait alors, toute transie, pour revenir quelques moments plus tard, et toujours

inutilement.

Le soir se fit. Le petit détachement n’était pas de retour. Où était-il en ce moment? Avait-il pu rejoindre les Indiens? Y avait-il eu lutte, ou ces soldats, perdus dans la brume, erraient-ils au hasard? Le capitaine du fort Kearney était très inquiet, bien qu’il ne voulût rien laisser paraître de son inquiétude.

La nuit vint, la neige tomba moins abondamment, mais l’intensité du froid s’accrut. Le regard le plus intrépide n’eût pas considéré sans épouvante cette obscure immensité. Un absolu

silence régnait sur la plaine. Ni le vol d’un oiseau, ni la passée d’un fauve n’en troublait le calme infini.

Pendant toute cette nuit, Mrs. Aouda, l’esprit plein de pressentiments sinistres, le cœur rempli d’angoisses, erra sur la lisière de la prairie. Son imagination l’emportait au loin et lui montrait mille dangers. Ce qu’elle souffrit pendant ces longues heures ne saurait s’exprimer.

Fix était toujours immobile à la même place, mais, lui non plus, il ne dormait pas. À un

certain moment, un homme s’était approché, lui avait parlé même, mais l’agent l’avait

renvoyé, après répondu à ses paroles par un signe négatif.

La nuit s’écoula ainsi. À l’aube, le disque à demi éteint du soleil se leva sur un horizon

embrumé. Cependant la portée du regard pouvait s’étendre à une distance de deux milles.

C’était vers le sud que Phileas Fogg et le détachement s’étaient dirigés... Le sud était

absolument désert. Il était alors sept heures du matin.

Le capitaine, extrêmement soucieux, ne savait quel parti prendre. Devait-il envoyer un second détachement au secours du premier? Devait-il sacrifier de nouveaux hommes avec si peu de

chances de sauver ceux qui étaient sacrifiés tout d’abord? Mais son hésitation ne dura pas, et d’un geste, appelant un de ses lieutenants, il lui donnait l’ordre de pousser une reconnaissance dans le sud —, quand des coups de feu éclatèrent. Était-ce un signal? Les soldats se jetèrent hors du fort, et à un demi-mille ils aperçurent une petite troupe qui revenait en bon ordre.

Mr. Fogg marchait en tête, et près de lui Passepartout et les deux autres voyageurs, arrachés aux mains des Sioux.

Il y avait eu combat à dix milles au sud de Kearney. Peu d’instants avant l’arrivée du

détachement, Passepartout et ses deux compagnons luttaient déjà contre leurs gardiens, et le

Français en avait assommé trois à coups de poing, quand son maître et les soldats se

précipitèrent à leur secours.

Tous, les sauveurs et les sauvés, furent accueillis par des cris de joie, et Phileas Fogg distribua aux soldats la prime qu’il leur avait promise, tandis que Passepartout se répétait, non sans

quelque raison:

«Décidément, il faut avouer que je coûte cher à mon maître!»

Fix, sans prononcer une parole, regardait Mr. Fogg, et il eût été difficile d’analyser les

impressions qui se combattaient alors en lui. Quant à Mrs. Aouda, elle avait pris la main du

gentleman, et elle la serrait dans les siennes, sans pouvoir prononcer une parole!

Cependant Passepartout, dès son arrivée, avait cherché le train dans la gare. Il croyait le

trouver là, prêt à filer sur Omaha, et il espérait que l’on pourrait encore regagner le temps perdu.

«Le train, le train! s’écria-t-il.

— Parti, répondit Fix.

— Et le train suivant, quand passera-t-il? demanda Phileas Fogg.

— Ce soir seulement.

— Ah!» répondit simplement l’impassible gentleman.

Chapitre 31

DANS LEQUEL L’INSPECTEUR FIX PREND TRES SERIEUSEMENT LES INTERETS DE PHILEAS FOGG.

Phileas Fogg se trouvait en retard de vingt heures. Passepartout, la cause involontaire de ce retard, était désespéré. Il avait décidément ruiné son maître!

En ce moment, l’inspecteur s’approcha de Mr. Fogg, et, le regardant bien en face:

«Très sérieusement, monsieur, lui demanda-t-il, vous êtes pressé?

— Très sérieusement, répondit Phileas Fogg.

— J’insiste, reprit Fix. Vous avez bien intérêt à être à New York le 11, avant neuf heures du soir, heure du départ du paquebot de Liverpool?

— Un intérêt majeur.

— Et si votre voyage n’eût pas été interrompu par cette attaque d’Indiens, vous seriez arrivé à New York le 11, dès le matin?

— Oui, avec douze heures d’avance sur le paquebot.

— Bien. Vous avez donc vingt heures de retard. Entre vingt et douze, l’écart est de huit. C’est huit heures à regagner. Voulez-vous tenter de le faire?

— À pied? demanda Mr. Fogg.

— Non, en traîneau, répondit Fix, en traîneau à voiles. Un homme m’a proposé ce moyen de

transport.»

C’était l’homme qui avait parlé à l’inspecteur de police pendant la nuit, et dont Fix avait

refusé l’offre.

Phileas Fogg ne répondit pas à Fix; mais Fix lui ayant montré l’homme en question qui se

promenait devant la gare, le gentleman alla à lui. Un instant après, Phileas Fogg et cet

Américain, nommé Mudge, entraient dans une hutte construite au bas du fort Kearney.

Là, Mr. Fogg examina un assez singulier véhicule, sorte de châssis, établi sur deux longues

poutres, un peu relevées à l’avant comme les semelles d’un traîneau, et sur lequel cinq ou six personnes pouvaient prendre place. Au tiers du châssis, sur l’avant, se dressait un mât très

élevé, sur lequel s’enverguait une immense brigantine. Ce mât, solidement retenu par des

haubans métalliques, tendait un étai de fer qui servait à guinder un foc de grande dimension.

À l’arrière, une sorte de gouvernail-godille permettait de diriger l’appareil.

C’était, on le voit, un traîneau gréé en sloop. Pendant l’hiver, sur la plaine glacée, lorsque les trains sont arrêtés par les neiges, ces véhicules font des traversées extrêmement rapides d’une station à l’autre. Ils sont, d’ailleurs, prodigieusement voilés — plus voilés même que ne peut l’être un cotre de course, exposé à chavirer —, et, vent arrière, ils glissent à la surface des prairies avec une rapidité égale, sinon supérieure, à celle des express.

En quelques instants, un marché fut conclu entre Mr. Fogg et le patron de cette embarcation

de terre. Le vent était bon. Il soufflait de l’ouest en grande brise. La neige était durcie, et Mudge se faisait fort de conduire Mr. Fogg en quelques heures à la station d’Omaha. Là, les

trains sont fréquents et les voies nombreuses, qui conduisent à Chicago et à New York. Il

n’était pas impossible que le retard fût regagné. Il n’y avait donc pas à hésiter à tenter

l’aventure.

Mr. Fogg, ne voulant pas exposer Mrs. Aouda aux tortures d’une traversée en plein air, par ce froid que la vitesse rendrait plus insupportable encore, lui proposa de rester sous la garde de Passepartout à la station de Kearney. L’honnête garçon se chargerait de ramener la jeune

femme en Europe par une route meilleure et dans des conditions plus acceptables.

Mrs. Aouda refusa de se séparer de Mr. Fogg, et Passepartout se sentit très heureux de cette

détermination. En effet, pour rien au monde il n’eût voulu quitter son maître, puisque Fix

devait l’accompagner.

Quant à ce que pensait alors l’inspecteur de police ce serait difficile à dire. Sa conviction avait-elle été ébranlée par le retour de Phileas Fogg, ou bien le tenait-il pour un coquin

extrêmement fort, qui, son tour du monde accompli, devait croire qu’il serait absolument en

sûreté en Angleterre? Peut-être l’opinion de Fix touchant Phileas Fogg était-elle en effet

modifiée. Mais il n’en était pas moins décidé à faire son devoir et, plus impatient que tous, à presser de tout son pouvoir le retour en Angleterre.

À huit heures, le traîneau était prêt à partir. Les voyageurs — on serait tenté de dire les

passagers — y prenaient place et se serraient étroitement dans leurs couvertures de voyage.






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